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demain la cause de complications encore plus redoutables. Aussi la sagesse consiste-t-elle, en cette occurrence, non pas à chercher la panacée qui n’existe pas, mais à prendre, quand il en est temps encore, le parti qui présente le moins d’inconvéniens. Ce parti, c’est celui que le Times a proposé entre beaucoup d’autres, le jour où il a provoqué en Syrie la création d’une principauté gouvernée par un prince européen.

En réalité, il s’agit d’arracher une terre en déshérence à l’abandon, au désordre, à la barbarie, et l’Europe seule peut assurer ce résultat. Osera-t-elle agir ? ou bien ce qui va sortir de ses conseils sera-ce un replâtrage quelconque du statu quo, et qui durera, ce qu’il plaira à Dieu, sans que le mérite des hommes ni des peuples ait contribué en rien à le faire durer ? Mais s’il venait à se rompre, si dans un an d’ici, plus tôt peut-être, les correspondances de l’Orient nous apportaient le récit de nouvelles horreurs, l’Europe serait-elle encore en mesure de faire ce qu’elle pourrait si bien faire aujourd’hui ? Serait-elle innocente du sang qui aurait coulé ?


II

Aujourd’hui en effet la politique européenne, en même temps quelle voit incessamment grandir sa sphère d’action, doit comprendre que l’étendue de ses responsabilités croît en raison même du développement de sa puissance. Un mouvement tel que les siècles antérieurs n’en ont jamais vu, même au temps de la découverte de l’Amérique, entraîne les peuples de race européenne à établir leur domination sur toute la terre. Depuis le pionnier du far west jusqu’au pasteur qui promène ses troupeaux dans, les solitudes de l’Afrique méridionale, depuis le chercheur d’or de la Californie ou de l’Australie jusqu’au soldat qui essaie de pénétrer les mystères du Sahara ou qui combat en Chine pour l’honneur du drapeau, depuis le colon de la Nouvelle-Zélande jusqu’au marchand, qui exploite les océans, du détroit de Behring aux antipodes et des antipodes au Grœnland, on ne voit partout que des Européens travaillant à établir par les armes et par la politique, par la propagande religieuse et par le commerce, par l’agriculture et par l’industrie, la domination de leur race sur toutes les autres races de la terre.

Aucune époque de l’histoire du monde n’a vu quelque chose de comparable à ce qui s’accomplit sous nos yeux ; jamais, même au temps de Pizarre, de Cortez ou d’Albuquerque, il ne s’est fait sur le désert ou sur les pays anciennement habités des conquêtes aussi extraordinaires que celles dont nous sommes les témoins depuis le commencement du siècle. À cette époque, les États-Unis ne comptaient