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peut-être même en acquerraient-elles une plus haute par une culture plus intensive. L’alliance de l’agriculture et de l’industrie, du capital et du travail, des puissans et des humbles, n’a plus rien d’impossible, et cette solidarité d’intérêts est assurément le bienfait principal que la société doive attendre de la centralisation des usines, sans préjudice des revenus très élevés qu’elles peuvent procurer. Clairement aperçus depuis vingt ans bientôt, ces avantages déterminèrent, après la catastrophe de la Pointe-à-Pître, qui s’étendit à beaucoup de sucreries, la fondation d’une première compagnie des Antilles ; ébranlée par des épreuves trop fortes pour sa faiblesse, elle céda la place à une nouvelle compagnie, qui possède quatre établissemens à la Guadeloupe[1]. La Martinique n’a encore suivi cet exemple que pour une seule usine, ce que ses habitans attribuent au relief accidenté du sol, qui circonscrit au voisinage de l’usine les plantations qui peuvent l’alimenter. De telles difficultés céderont devant l’amélioration des chemins et des véhicules.

L’accord existe aujourd’hui aux Antilles en faveur de la centralisation des sucreries, et le seul obstacle qui s’oppose à la multiplication de ces établissemens, c’est l’insuffisance des capitaux. Jadis grevée de dettes contractées à l’abri de la loi qui interdisait l’expropriation des immeubles, la propriété territoriale aux Antilles est loin de posséder les finances nécessaires à une telle réorganisation, et le commerce a les siennes engagées dans ses transactions courantes ; les négocians et banquiers de la métropole, toujours un peu timorés à l’égard des colonies, toujours effrayés des moindres nuages au ciel politique, le sont encore plus depuis que le concours de la main-d’œuvre paraît incertain. Enfin tout crédit étranger se trouve écarté par l’isolement commercial où la France tient ses possessions, par la crainte aussi de l’intervention administrative dans les affaires privées. L’indemnité, réglée en 1850 dans un esprit parcimonieux, qui tint plus de compte de la situation du trésor national que de la valeur réelle des esclaves[2], a été tout entière absorbée tant par la

  1. Les usines Marly et Bellevue dans la. commune du Moule, Zévallos dans celle du Port-Louis, et la Grande-Anse à Marie-Galante. L’usine centrale de la Martinique est celle de Pointe-Simon, près de Fort-de-France.
  2. Le règlement de l’indemnité par tête d’esclave, voté en principe en 1849, commencé en 1850, s’est fait sur le pied suivant :
    A la Martinique : 430 fr. 47 c.
    A la Guadeloupe : 470 fr. 20
    A la Guyane : 618 fr. 73
    / A la Réunion : 705 fr. 38
    En moyenne : 630 fr.
    En tout, l’indemnité a coûté 126 millions, dont 6 millions furent payés en numéraire, et 120 millions en rentes 5 pour 100, bientôt converties en 4 1/2, réserve faite d’un huitième pour former le capital des banques coloniales.
    En Angleterre, l’indemnité, toute payée en numéraire, a coûté 500 millions. En outre, les lois ont assuré au sucre colonial un très haut prix pendant une certaine période.