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fermiers par les nouveaux procédés de fabrication des engrais artificiels. On avait poussé les déductions de cette théorie au point d’engager les agriculteurs à négliger les engrais organiques, plus ou moins riches en substances azotées, pour reporter tous leurs efforts sur les moyens d’assurer leur approvisionnement en engrais minéraux. On avait même prétendu qu’en brûlant les fumiers, on trouverait dans les résidus de cette combustion les principes minéraux extraits du sol par les plantes que l’on considérait comme la seule portion indispensable des alimens d’une végétation nouvelle et d’une abondante récolte, car, ajoutait-on, les gaz et vapeurs ammoniacales, azotiques et autres, répandus dans l’immensité de l’atmosphère, suffisaient aux développemens des composés purement organiques dans les plantes.

Au moment où je visitais les fermes encore sous le charme des lectures publiques sur ce sujet, l’industrie trop exclusive des engrais artificiels était en décadence, et les plus habiles cultivateurs, éclairés par leurs propres essais, parfois à leurs dépens, étaient revenus à des théories plus saines. Des expériences comparatives, faites sur une grande étendue de terrain et jointes aux recherches exactes du laboratoire, avaient été entreprises chez M. Lawes de Rothamsteade, à quelques lieues de Londres. Quelques jours avant ma visite, on avait incinéré 14, 000 kilos de fumier, afin d’en recueillir les cendres et d’en comparer l’action, comme engrais purement minéral, avec l’effet qui serait obtenu d’un poids égal de pareil fumier, mais employé à l’état normal et représentant alors un engrais mixte. Le champ d’un acre qui avait reçu les cendres ne produisit que seize boisseaux de froment, tandis que l’on récolta vingt-deux boisseaux sur le champ normalement fumé qui avait reçu la même semence.

Parmi les notions utiles que cette agitation agricole répandit encore, il faut compter l’extraction, la préparation et l’emploi des phosphates minéraux, ou, pour mieux dire, des engrais minéralisés par la durée des temps. On reconnut que, par diverses causes, l’un des engrais les plus précieux, le phosphate calcaire, tend à s’amoindrir à la superficie du sol ; on alla donc puiser dans les anciennes formations géologiques les résidus phosphatés de cette alimentation primitive, que des plantes inconnues à la flore actuelle de la terre avaient préparée pour les grands animaux également disparus depuis des milliers de siècles. Ainsi l’une des bases de l’alimentation des premiers êtres vivans, après avoir été déjà élaborée par eux, puis rejetée comme inutile, est en ce moment même reprise par l’industrie dans les couches tourmentées de la croûte terrestre, préparée dans de grandes usines et livrée par le commerce aux agriculteurs.

Déjà, il faut le dire, les chimistes du commencement de ce siècle