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de quels puissans élémens pourra disposer un parti révolutionnaire ? Ce parti a ses penseurs et ses écrivains ardens, mais il a plus encore : il possède, grâce aux volontaires, une organisation militaire qui survivra longtemps aux circonstances actuelles, et cette figure légendaire de Garibaldi, dont on a beau essayer de faire aujourd’hui un Cassandre politique, après l’avoir érigé hier en héros, mais qui aura toujours auprès des masses un entraînant prestige. On dit que le roi Victor-Emmanuel va essayer, dans le voyage qu’il entreprend vers la frontière napolitaine, de ramener par son influence personnelle le grand condottiere à une politique plus sensée. Nous voudrions qu’il réussît, mais nous doutons que son succès soit de longue durée. Nous croyons que M. de Cavour et les hommes intelligens de l’Italie seraient mieux secondés dans leurs intentions conservatrices et gouvernementales, si une bonne fois la France leur faisait amicalement sentir le frein, et s’ils étaient enfin obligés de renoncer à la douce et présomptueuse habitude qu’ils ont prise de croire que nous les suivrons partout où ils nous veulent mener. Le ministre d’un gouvernement qui passe pour l’ami par excellence de l’Italie vient de nous fournir un curieux modèle de la façon dont de sincères amis peuvent parler au Piémont sans l’offenser. Lord John Russell, de ce ton doctrinal et sec, qui donne quelquefois à ses dépêches une saveur particulière d’impertinence, a prévenu le Piémont qu’il eût à ne point songer à une agression contre l’Autriche : il l’a tenu d’avance pour responsable des agressions qui pourraient être commises par des corps francs ; il n’a pas craint de rappeler au roi Victor-Emmanuel les obligations qu’impose une parole royale ; il n’a pas hésité à signifier au Piémont que l’Angleterre, ayant des intérêts dans l’Adriatique, ne voulait pas que la Vénétie fût attaquée, et saurait apparemment l’empêcher. Cette résolution de la politique anglaise est bien telle que nous l’avons toujours annoncée aux Italiens. M. de Cavour a accepté la leçon, et a pris sa revanche sur le pape. Pourquoi de notre côté ne rencontrerait-il pas un salutaire obstacle dans une amitié plus polie, mais non moins ferme ? Est-ce un obstacle de ce genre que l’on a signalé au gouvernement sarde en le prévenant que le général de Goyon est autorisé à étendre son action aussi loin que les conditions militaires de sa mission peuvent l’exiger, ou, pour parler avec la courtoisie du Moniteur, « le lui permettre ? »

Nous ne sommes point surpris, mais nous ne sommes guère effrayés des préoccupations qu’excite dans une certaine partie de l’Europe la réunion de souverains qui aura lieu ce mois-ci à Varsovie. Que les empereurs de Russie et d’Autriche éprouvent le besoin d’oublier leurs griefs réciproques, cela nous paraît naturel ; que le prince-régent de Prusse soit l’intermédiaire de cette réconciliation, c’est son rôle ; que l’Angleterre, sans venir sur le devant du tableau, regarde de l’arrière-plan et non sans satisfaction cette nouvelle alliance du Nord, on devait s’y attendre. Il y a en Europe trop d’élémens d’incertitude, trop de fermens de révolution, les puissans ont trop récemment fait l’épreuve de leur faiblesse et sont assiégés d’alarmes trop