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de frais d’imagination. Des vieilleries, de petits actes, des voix éraillées et taries, des chanteurs écloppés, de beaux décors et de grandes machines qui tiennent lieu de poésie, d’invention et souvent de musique, voilà quels paraissent être les élémens de succès qui attirent dans les salles de spectacle cette foule ahurie et frétillante dont le gros appétit ne vaudra jamais le goût éclairé des minorités choisies. Quoi qu’en disent certains discours officiels où l’on a essayé de transporter le principe de la souveraineté du nombre dans le domaine des beaux-arts et d’appliquer le suffrage universel au jugement des œuvres de l’esprit humain, il est douteux que le succès matériel des entreprises théâtrales, la popularité qui s’attache à certaines ébauches de la pensée, puissent être considérés comme des signes de supériorité et la marque d’une époque d’élection pour l’art. Si les doctrines émises récemment dans un discours prononcé à la distribution des prix du Conservatoire de musique étaient fondées, il s’ensuivrait que le théâtre des Bouffes-Parisiens, que protègent les puissances du jour et que fréquente la belle jeunesse dorée, serait la gloire du temps où nous avons le bonheur de vivre. Si satisfait qu’on soit de notre époque, je ne pense pas qu’il faille pousser l’émerveillement jusque-là.

Cependant le théâtre de l’Opéra continue avec un certain succès les représentations de la Semiramide de Rossini, traduite en français par M. Méry et remise à neuf par un grand spectacle et de magnifiques décors. Les deux cantatrices italiennes, les sœurs Marchisio, pour qui cette coûteuse translation d’un chef-d’œuvre du grand maître a été entreprise, se sont raffermies depuis leur début, qui remonte au 9 juillet dernier ; elles ont eu le temps de se familiariser un peu plus avec la langue nouvelle dans laquelle elles chantent et de manifester avec moins d’embarras les qualités originelles qui les distinguent. Les sœurs Marchisio sont de Turin, et elles appartiennent à une famille d’artistes dont le chef, leur oncle, est le correspondant de la maison Érard, de Paris. Barbara Marchisio, celle qui possède une voix de contralto, est entrée la première dans la carrière dramatique et s’est essayée pour la première fois au théâtre italien de Madrid. Sa sœur Carlotta, le soprano, qui s’était adonnée à l’étude du piano sous la direction de son frère, a suivi l’exemple de Barbara, et bientôt les deux sœurs ont paru ensemble sur un théâtre d’Italie, à San-Benedetto de Venise. C’est dans cette ville, je pense, qu’un voyageur français, M. Camille Doucet, les a entendues avec un grand plaisir. À son retour à Paris, il parla avec intérêt des deux cantatrices italiennes qui venaient de se produire tout récemment, et donna l’éveil à l’administration supérieure. Celle-ci chargea M. Dietsch, actuellement chef d’orchestre de l’Opéra, d’aller apprécier l’éclat et la grandeur des deux nouvelles étoiles. M. Dietsch écrivit que les deux sœurs Marchisio valaient leur pesant d’or, et que, depuis la réunion fabuleuse de la Malibran et de la Sontag, il n’avait pas entendu un ensemble aussi parfait que le duo du second acte de la Semiramide de Rossini chanté par les deux Piémontaises. Sur ce rapport favorable, leur engagement fut décidé, et pour ne rien diminuer de l’effet qu’on se promettait, on eut la pensée de transporter les deux cantatrices italiennes sur la scène de l’Opéra, avec la terre même sur laquelle elles avaient fleuri. C’est ainsi que vint l’idée de traduire en français