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et visant à vous charmer plus qu’à vous toucher. Dans l’introduction, Carlotta Marchisîo manque un peu de puissance, et dans l’air du second acte, — Doux rayon de l’amour, — on pourrait désirer plus de brio et d’enivrement ; mais elle chante fort bien le bel andante du duo avec Assur, — Jour d’épouvante et d’allégresse, — et d’une manière exquise et parfaite celui avec Arsace : Eh bien ! frappe ta mère !

Elle est bien secondée dans ce duo, comme dans le reste de l’ouvrage, par sa sœur Barbara, qui n’a pas été mieux traitée par la nature sous le rapport de l’ampleur des formes et de la beauté physique : elle est petite aussi, mais d’une taille mieux dessinée et d’une physionomie moins fruste. Barbara possède une voix de contralto qui n’a pas la profondeur ni la rondeur de celle de l’Alboni, mais qui est plus égale, et qui ne présente pas dans son parcours, — presque de deux octaves, — cette brusque solution de continuité, de la voix de poitrine à la voix mixte, qu’on remarque chez tous les contraltos. Elle vocalise avec autant de facilité que sa sœur le soprano, et son goût paraît plus sûr et de meilleur aloi. Elle chante avec placidité et se possède plus que sa sœur, qui est moins expérimentée comme comédienne. Dans le duo, déjà cité, entre Sémiramis et Arsace, ces deux femmes se complètent l’une l’autre, et la fusion de ces deux voix, alliées par la nature et par l’art, forme un de ces ensembles parfaits qui rappellent les plus beaux jours du Théâtre-Italien. Ce n’est pas de l’art grandiose, produisant une grande émotion dramatique ; c’est un plaisir délicat, une sensualité de l’oreille, tempérée d’une légère émotion morale, qui vous pénètre doucement dans le cœur, — per aures peptus irrigarer, — comme le dit heureusement un poète latin. On peut désirer entendre autre chose, sur la grande scène de l’Opéra, que de délicieux madrigaux comme ce duo et l’air que chante Arsace au troisième acte, en promettant de punir le meurtrier de son père ; mais une fois qu’on a accepté la donnée d’un ouvrage composé dans des conditions différentes, pour un public exclusivement musical et des virtuoses incomparables, on conçoit la possibilité d’un plaisir vocal assez intense pour vous faire oublier les lois d’une peinture plus rigoureuse des passions humaines. Tel était à peu de chose près l’opéra seria italien avant et depuis la réforme tentée par Gluck, un canevas prétendu historique, d’une contexture fort lâche, renfermant deux ou trois situations plus tendres que pathétiques, de beaux airs, des récitatifs et des duos comme celui de Sémiramis, chantés par des virtuoses tels que Pachiarotti, Mandini, Ansani, la Gabrielli, la Banti, etc. Je ne défends pas le système de l’ancien opera seria italien, mais je dis qu’il a eu sa raison d’être, puisqu’il a existé et qu’il a satisfait les goûts d’un peuple admirablement doué pour tous les arts, et que nous voyons renaître à la vie politique d’une manière miraculeuse.

Les sœurs Marchisio, qui sont avant tout des cantatrices, respectent scrupuleusement les limites et la sonorité naturelle de leur organe, et jamais elles n’en exigent des efforts qui altèrent la qualité musicale du son. Jamais elles ne crient, jamais elles n’oublient que les sentimens qu’elles expriment doivent être enveloppés d’une phrase musicale, sang laquelle on peut être tout ce qu’on voudra, excepté une cantatrice. Carlotta, le soprano, fera bien