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Turcs infligent à l’église grecque un affront en apparence éternel. Mais voici qu’au bout de quatre ou cinq cents ans l’église grecque ressuscite. Une conquête qui pendant des siècles sembla de peu d’importance, celle des Russes, lui confère en un jour un principat égal à celui des Latins. La race imaginative et résistante des Slaves se substitue à la race grecque affaiblie, et au bout de dix siècles l’œuvre de Photius se retrouve comme un phénomène capital de l’histoire du monde. — Le protestantisme ne s’est pas montré moins obstiné : Philippe II, Pie le duc d’Albe, les jésuites, Louis XIV s’y sont brisés ; l’hérésie, qu’on proclamait exterminée, est restée maîtresse des parties les plus vivantes de l’Europe. Rien donc ne sortira de la lutte réciproque des trois familles chrétiennes : leur équilibré n’est pas moins assuré que celui des trois grandes races auxquelles le monde appartient ; leur division préservera l’avenir contre les excès d’un pouvoir religieux trop fort, comme la division de l’Europe doit empêcher à jamais le retour de cet orbis romanus, de ce cercle fermé, où nul recours n’était possible contre la redoutable tyrannie qu’engendre toujours l’unité.

La propagande de ces trois grandes églises sur les portions non encore chrétiennes du monde changera-t-elle quelque chose à leur situation respective ? En d’autres termes, quel est l’avenir des missions catholiques, gréco-russes et protestantes ? Une constante expérience permet de s’exprimer sur ce point avec beaucoup de précision. Peu de dévouemens sont aussi respectables que celui du missionnaire ; peu d’institutions ont rendu et peuvent rendre aux sciences historiques et géographiques des services aussi grands que les établissemens de propagande. Si de nos jours les missions protestantes remplissent presque seules ce noble rôle, par suite de la fâcheuse indifférence pour les sciences que montrent trop souvent les missionnaires catholiques, il ne faut pas oublier les belles missions catholiques du XVIIIe siècle, celles des jésuites en Chine, celles des missionnaires italiens dans l’Inde et au Thibet, les Horace della Penna, les Paulin de Saint-Barthélémy, les Tieffenthaler. Toutefois au point de vue des révolutions religieuses le fait des missions a toujours été secondaire dans l’histoire de l’humanité. Cette façon d’agir isolée et individuelle, qui est celle des grands apostolats fondateurs qu’on trouve à l’origine de toutes les religions, est insuffisante quand le premier feu de la création est passé. Saint Paul de nos jours ne se ferait pas missionnaire. On ne citerait pas une communauté chrétienne sérieuse qui soit l’œuvre des missions modernes. Les églises de la Chine et du Japon étaient bâties sur le sable. Ni l’héroïsme de François-Xavier, ni l’habileté et parfois la largeur d’esprit des jésuites n’ont pu les empêcher de crouler. Les efforts pour attaquer les grandes religions de l’Asie, l’islamisme, le brahmanisme, le bouddhisme,