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devint le souverain absolu de l’église ; tous les droits qui, selon l’ancienne constitution, étaient répandus dans le corps ecclésiastique se trouvèrent concentrés dans sa main.

Les dangers d’une telle organisation s’aperçoivent sans peine. L’expérience a prouvé que les pouvoirs centralisés sont les moins stables, un coup de main suffisant pour les enlever. La révolution est la forme sous laquelle s’opèrent les changemens dans les états de ce genre. Avec la centralisation, la fragilité et la révolution ont fait leur entrée dans l’église. Le pape est bien plus vulnérable qu’une église partout répandue. Le pape d’ailleurs étant mis par le système des concordats en rapport direct avec les gouvernemens, la religion est ramenée dans le cercle des choses mondaines ; elle est mêlée à toutes les intrigues de la terre ; son représentant n’est plus le pontife, le saint homme, le docteur ; elle se personnifie dans des diplomates, des Consalvi, des Caprara. Le pape de la première moitié du moyen âge est certes fort mêlé aux choses de la terre, mais comme un acteur de premier ordre, et même comme le premier de tous. Privé de ce rôle-suprême depuis le XVIe siècle, représentant dans le monde une puissance de deuxième ou de troisième rang, le pape des temps modernes est réduit à des moyens humains peu dignes de lui. Le catholicisme a été entraîné de la sorte à devenir une religion essentiellement politique : les jésuites, qui ont tracé le code de sa diplomatie, sont les seuls qui aient compris les exigences de sa position et la ligne de conduite à laquelle il est condamné.

Préjudiciable à la religion, l’organisation ultramontaine ne l’est pas moins à l’état. Ce n’est pas un superficiel préjugé qui a mis en opposition dans certains pays les mots de catholiques et de patriotes, et en a fait le drapeau de partis contraires. Le catholicisme est en fait bien plus la patrie du croyant que l’état où il est né. Plus une religion est forte, plus elle a cet effet ; l’islamisme a totalement tué en Orient la patrie. L’Europe ne court pas les mêmes dangers ; mais on ne peut nier que le catholicisme ultramontain ne crée pour la société civile de graves embarras. La religion, dans le système ultramontain, étant une puissance distincte, qui dispose de moyens terrestres, l’état est obligé envers elle à de perpétuelles concessions. Ces concessions sont toujours des diminutions de la liberté publique. Se posant comme une puissance de droit divin, à laquelle obéissance est due même par ceux qui ne la professent pas, l’église, quand elle ne domine pas, se croit persécutée. Elle réclame le droit commun, et elle a raison ; mais en réalité elle jouit d’un énorme privilège, qu’elle doit à ses allures hautaines. L’évêque se plaint de ne pas jouir pour la publication de ses mandemens de toute la liberté qu’il désirerait : je suis avec lui dans cette croisade ; mais pourquoi l’évêque ne veut-il pas permettre que le libre penseur jouisse de