Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souverain de Rome et de Bologne était, dans l’ordre temporel, indépendamment de son prestige religieux, un personnage considérable. Il n’en est plus ainsi depuis que quatre ou cinq grandes agglomérations ont accaparé pour elles seules le maniement des choses européennes. Dans un tel état de choses, on voit sans peine quelle doit être la position des petits souverains. Si l’on peut dire (et certes bien des restrictions seraient ici nécessaires) que, pour les quatre ou cinq grandes puissances, souveraineté est synonyme d’indépendance, il est bien sûr que le petit souverain est, lui, le plus dépendant des hommes. Que dire quand ce petit souverain est en lutte forcée avec ses sujets ? Il est clair qu’en ce cas il dépend de la nation qui le garde, ou de la nation sur laquelle il s’appuie contre celle qui le garde. Mieux vaudrait être le sujet libre d’une puissance que d’être ainsi alternativement l’obligé de toutes. La formation d’une armée catholique n’est pas une solution à cette difficulté. Une armée catholique échouera, comme toute chevalerie dans notre âge de plomb, devant la fatalité des grandes masses. La Prusse, avec ses seize millions d’hommes et ses institutions militaires, est à peine assez forte pour faire figure entre les grands états ; elle occupe dans le concert européen une position embarrassée. Si la catholicité peut former une armée comme celle de la France, une flotte comme celle de l’Angleterre, je n’ai rien à dire ; mais qui ne voit que le principe national seul peut entretenir ces gigantesques appareils ? J’ajoute que l’habile parti romain, qui, comptant peu sur les miracles, a toujours courtisé les forces établies bien plus qu’il n’a recherché l’appui de l’enthousiasme religieux, se défiera de l’armée catholique, en neutralisera les effets, et se tournera de préférence vers la diplomatie. Par la fatalité des choses, le pape sera donc réduit à demander la garantie de ses états aux grandes puissances, à épier le succès, à pactiser avec les forts, à s’enfoncer dans le dédale des calculs humains. Ce n’est donc pas de sa petite principauté qu’il tire son indépendance ; au contraire sa principauté est le point par lequel il est cloué à la terre et traduit au tribunal des puissances européennes, où le schisme et l’hérésie disposent de la majorité. — J’ajoute encore qu’un grand principe de force, la légitimité, ne saurait être ici invoqué. La légitimité se fonde sur une sorte de mariage séculaire entre une maison royale et une nation, la maison royale s’obligeant à une stricte hérédité, et renonçant à avoir aucun intérêt privé qui ne soit celui de la nation. Il n’y a ici ni maison héréditaire ni intérêts nationaux ; la papauté n’est pas plus admise à revendiquer les droits d’une dynastie que le dogat de Venise, et quant aux intérêts qu’elle représente, ils ont cessé depuis longtemps d’avoir rien de commun avec le pays sur la surface duquel elle règne, mais non en vue duquel elle gouverne. Chargé d’une mission universelle, le pape manquerait à ses