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La liberté se trouve ainsi la solution de la question religieuse, plus encore qu’elle n’est la solution des questions morales, sociales, politiques, industrielles. La raison en est simple. Le but de la religion est le bien ; or le bien qui n’est pas obtenu par la liberté n’est pas le bien. La religion est un problème que l’esprit crée en s’y appliquant ; la vraie et la bonne religion est pour chacun celle qu’il croit et qu’il aime. Le principe libéral par excellence, c’est que l’homme est une âme, qu’on ne doit le prendre que par l’âme, que tout ce qui ne change point l’âme est de nulle valeur. Une justice obstinée, accordant avec une implacable opiniâtreté la liberté à tous, même à ceux qui, s’ils étaient les maîtres, ne l’accorderaient pas à leurs adversaires, telle est la seule issue que la raison, entrevoie aux graves problèmes soulevés de nos jours. Je suis porté à croire que si en 1849 on n’avait opposé aux erreurs socialistes qu’un impassible libéralisme, le virus dangereux que les mesures de répression prises alors ont fait rentrer dans le corps social eût perdu toute sa force. Bien des malheurs eussent été conjurés, et de lourdes entraves apportées aux droits de tous n’existeraient pas.

La religion gagnera plus que toute autre chose à ce régime. De grossières associations d’idées très préjudiciables à l’élévation des âmes tomberont d’elles-mêmes. La synonymie établie par l’hypocrisie de la fin du règne de Louis XIV entre libertin et libre penseur disparaîtra. Le catholicisme officiel a pour effet ordinaire d’amener cette confusion ; il est triste de songer que, sans l’appui du libertin de petite ville brouillé avec son curé, la révolution du XVIIIe siècle, qui a fondé l’indépendance de la pensée, ne se fût pas accomplie. L’exemple de l’Italie, flottant depuis le moyen âge entre le matérialisme et la dévotion, dévorée à la fois par la religion et l’incrédulité, paralysée par le catholicisme et n’en sachant point sortir, ne peut être assez médité. En somme, l’indifférence superbe de l’averrhoïsme padouan, qui semblait au XVIe siècle d’une si bonne politique, a été une maladresse. On ne combat pas la puissance exclusive d’une religion en lui faisant des protestations mensongères de respect. Le seul moyen pour cela est l’appel infatigable à la liberté.

Le dogmatisme, qui croit posséder la formule éternelle du vrai, le scepticisme, qui nie le vrai, seront toujours dans la direction des affaires religieuses deux guides trompeurs. Rien de ce qui est de l’humanité n’est à dédaigner, mais rien non plus n’est à embrasser d’une manière absolue. Les conditions de la civilisation sont comme celles d’un problème limité, où toute donnée poussée à l’extrême mené à l’impossible. Il ne faut pas toucher imprudemment à ces conditions essentielles du milieu humain, où un degré de chaleur de plus ou de moins produit la vie ou la mort. Souvent, en cet ordre de choses, ce qui paraît le mal est la cheville ouvrière qui soutient