Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en province avec beaucoup d’indépendance et d’esprit, je trouvais un morceau vif et sérieux qui propose un nouveau système de restauration des libertés provinciales. La clameur est donc forte, et elle n’est pas d’hier ; peu s’en faut qu’elle ne soit unanime. Elle ne l’est pas pourtant : Etiam si omnes, ego non, a dit un écrivain distingué, dont les ouvrages, difficilement populaires ne peuvent être négligés que de ceux qui ne les connaissent pas.

M. Dupont-White est en effet de ces auteurs qui ne sont appréciés que de leurs lecteurs, tandis que d’autres sont admirés sans être lus. La vogue et la célébrité leur viennent d’elles-mêmes. Il y a dans leurs idées et leur talent je ne sais quelle facilité accessible qui leur gagne les esprits, dispense de les étudier pour les comprendre, et leur vaut des preneurs gratuits et des disciples tout faits. Tel n’est pas M. Dupont-White ; sa manière n’a rien de banal, mais rien d’attirant. C’est un esprit élevé, difficile, un peu dédaigneux, qui, fuyant les traits communs, les formes vulgaires, aime mieux satisfaire sa raison que le public. Très sincère dans ses opinions, il les aiguise avec art et se plaît à les présenter par la pointe. Il ne craint pas d’étonner, cherche la vérité sans négliger l’effet, et ne semble sûr de son originalité que lorsqu’il touche au paradoxe. Sa manière est tranchante, familière, cavalière, et cependant artificielle et travaillée. Il joint à la verve la recherche, les tours épigrammatiques aux abstractions sévères, et son style rude et brillant, hérissé de mots scientifiques et de piquantes rédactions, ressemble à la conversation d’un homme de beaucoup d’esprit qui ne s’adresse qu’à des auditeurs intelligens et veut faire penser ceux qui l’écoutent. Il montre dans son livre beaucoup d’admiration pour Montesquieu, et il pourrait bien comme lui s’être attaché, pour éviter l’ennui sans manquer à la gravité, à relever la monotonie des considérations générales par l’originalité d’un talent individuel. Des écrivains s’effacent dans leur œuvre. Montesquieu n’est pas de ceux-là ; sans jamais parler de lui, il se montre partout. Quand on l’a lu, il semble qu’on le connaisse ; avec l’esprit des lois, il vous donne le sien. L’ouvrage de M. Dupont-White produit une impression un peu analogue. Il y a un homme dans ce livre, on le sent, on le voit, et l’on voudrait discuter avec lui, sans espérer beaucoup de réussir à le persuader.

Les qualités que nous indiquons, quelque éminentes qu’elles soient, ne sont pas de celles qui assurent le plus aux ouvrages d’esprit la commune faveur ; peut-être faudra-t-il du temps pour que le nom de l’auteur prenne dans la controverse politique toute la place que mérite son talent. Nous lui savons gré de ne pas trop courir après le succès, de n’écouter que sa raison quand il pense et