Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/819

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que son autorité. Ils confisquèrent au profit de la réforme la meilleure et la plus digne partie de la noblesse française, celle qui semblait la plus propre à montrer une civique indépendance, comme ils neutralisèrent pour le bien public un corps aussi éclairé, aussi naturellement modérateur que le clergé, condamné désormais à ne plus connaître d’autre intérêt que le rêve odieux et funeste de l’extirpation de l’hérésie. C’est de l’époque de la ligue que le clergé a cessé d’être un corps politique pour devenir peu à peu une corporation particulière. La bourgeoisie divisée, irritée, intimidée par la guerre civile et religieuse, Paris surtout envahi et dominé par le fanatisme, ont perdu pendant plus d’un quart de siècle presque tout ce qui leur restait de puissance ou de volonté pour le bien public. C’est encore plus la lassitude ou la corruption des partis qu’un énergique retour de raison nationale qui facilita le juste avènement de Henri IV. Il serait ridicule de faire de ce grand prince un fondateur constitutionnel ; mais on peut voir dans l’instructif ouvrage de M. Poirson avec quelle habile modération, avec quelle hauteur de vues il tâcha d’introduire dans l’administration ces garanties de justice, ces ménagemens du droit, ces moyens de défense pour les intérêts légitimes, qui limitent et corrigent l’absolu pouvoir. Il voulait gouverner régulièrement et régner dans l’ordre. Pourquoi rien de semblable après lui ? pourquoi une régence, pourquoi une Marie de Médicis et un Louis XIII ? Ce n’étaient pas là des événemens nécessaires, c’étaient des accidens particuliers qui entrèrent pour beaucoup dans la possibilité et l’à-propos du gouvernement d’un Richelieu. J’ai ailleurs distingué la politique étrangère du cardinal de sa politique intérieure, la première si supérieure à la seconde, qu’elle a couverte par son éclat. Quant à celle-ci, ceux qui l’approuvent sans distinction, qui l’admirent sans choix, tombent précisément dans l’erreur la plus grave et la plus habituelle dans notre pays, celle de ne penser qu’à une chose à la fois, et je suis bien aise et peu surpris qu’ils n’aient pas Montesquieu pour eux. Tout ce qu’on peut dire contre l’administration de Richelieu retombe sur le règne de Louis XIV. Avec lui encore, le bruit, l’éclat, l’effet dramatique des choses de guerre et de diplomatie, servirent puissamment à préoccuper et à distraire une nation qui ne sait pas veiller à tout, et chez laquelle rien n’avait développé la spontanéité et l’initiative individuelle. En finissant, la monarchie de Louis XIV ne laissait à personne la confiance dans sa durée ; on sait le reste, et nous n’écrivons pas pour ceux à qui il faut montrer comment la révolution française est devenue nécessaire. On ne saurait donc féliciter indistinctement notre pays des événemens les plus décisifs de sa destinée. Nous le félicitons, nous le louons d’avoir, à travers tant d’obstacles,