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de contrariétés, de disgrâces, sauvé nombre de bonnes et belles choses, les talens qui le distinguent, les vertus qui lui sont propres, sa constitution civile, la gloire de ses armes et de sa littérature, enfin cette force vivace, inextinguible, avec laquelle il revient de tout, se relève après tous les revers, se ranime après tous les abattemens, et demeure obstinément l’étonnement et l’inquiétude du monde. Comment le louer au contraire d’une destinée sociale qui lui a si peu appris ou l’a montré si peu propre à disposer de soi ? Comment le louer d’avoir été habitué à juger ses affaires en spectateur, à ne point sentir qu’il en est responsable, à ne point vouloir en être maître ? Comment le louer d’en être venu à regarder les gouvernemens comme uniquement bons à servir quand ils sont forts, à outrager quand ils sont faibles, au lieu d’en contenir la force ou d’en réparer la faiblesse, les prenant à peu près comme les grands seigneurs faisaient de leurs intendans, qu’on renvoyait quelquefois et qu’on ne surveillait jamais ? Comment le louer enfin d’avoir été conduit là par une expérience de tant de siècles qui devait aboutir à la nécessité d’une radicale et totale révolution ? Si la centralisation est pour quelque chose dans tout cela, si c’est elle qui réduit la société a n’avoir plus rien pour se défendre tant au centre qu’aux extrémités, il est impossible de bénir la centralisation.


III

Et cependant la centralisation existe ! Le fait est là, manifeste, puissant, à quelques égards indestructible. Même dans ses détails, dans ses accessoires, il est ancien déjà. Tocqueville a montré aux plus incrédules qu’il plongeait par ses mille racines dans l’ancien régime. La royauté avait réussi au-delà de toutes ses espérances. Son unique adversaire, l’aristocratie, si l’on peut appeler ainsi notre noblesse, était depuis longtemps à ses pieds ; depuis longtemps, le clergé était sorti de la politique, et personne ne l’invitait à y rentrer, la France offrant ceci de particulier que les anciens moyens de résistance étaient encore plus impopulaires que le despotisme. Comment, au commencement du XVIIIe siècle, le public aurait-il accueilli la tentative de révolution aristocratique des Fénelon, des Saint-Simon, des Boulainvilliers ? « La seule classe d’hommes (nous le disons avec M. Guizot) qui ait joué dans l’histoire de France un rôle vraiment public, la seule qui ait tenté de faire pénétrer le pays dans son gouvernement, de donner au pays un gouvernement légal, c’est la magistrature et le barreau. » Et lorsqu’on lit les curieux et insipides mémoires de l’avocat Barbier, on se prend à trouver si puérils, si mesquins, si impuissans, les moyens d’opposition du parlement,