Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presse et la responsabilité ne sont admises en certains pays que comme autant de marques de défiance données au système de l’unité, autant d’obstacles élevés contre l’action rapide, irrésistible, incontestée de l’autorité centrale. Voilà pour le gouvernement politique, pour le gouvernement proprement dit.

Allons plus loin, suivons-le dans son action du centre aux extrémités, et voyons-le se localiser jusque dans le système le plus opposé à l’individualisme. Prenons des mains de M. Dupont-White l’exemple qu’il a très habilement développé, celui de la justice. Il fait observer d’abord que la justice en France applique une même législation dans tout l’empire. Elle est elle-même encadrée dans une organisation partout similaire. Elle émane du roi, disait-on jadis ; ce qui veut dire qu’elle descend du sommet jusqu’aux dernières assises de la pyramide sociale. Elle est elle-même constituée en une hiérarchie dont tous les rangs, tous les membres sont investis du droit de juger par la puissance suprême, et à mesure qu’elle se rapproche de la circonférence du cercle, elle décroît en autorité morale et légale, comme en se rapprochant du centre elle suit une marche inverse et semble remonter vers la lumière. Du moins la pluralité des degrés de juridiction, le droit d’appel, le recours en cassation, sont autant de dispositions conçues dans l’hypothèse d’une justice d’autant plus parfaite qu’elle est moins locale. Elle s’élève en s’éloignant des intérêts sur lesquels elle statue, et cette pensée du législateur est celle du public. La magistrature est donc le système le plus complet de centralisation ; à ce titre, elle obtient le crédit et la considération dont elle jouit. M. Dupont-White s’appuie de cet exemple avec confiance. Évidemment l’argument qu’il en peut tirer n’a de valeur qu’autant qu’il en attribue à notre organisation judiciaire. Évidemment encore il trouve cette organisation très bonne, mais il ne donne pas ses raisons, et, à parler franc, j’aurais eu besoin qu’il les donnât.

Supposons-les données et reçues. Il n’en reste pas moins vrai que l’aptitude de l’ordre judiciaire à sa fonction sociale repose sur un grand nombre d’autres garanties. Nul n’est juge sans conditions ; un noviciat est exigé. L’avancement est le plus souvent gradué comme la hiérarchie. Les magistrats n’agissent guère isolément, et le travail en commun est un excellent apprentissage. L’inamovibilité de leur titre passe pour une sauvegarde indispensable : contre qui ? Contre l’état. Si l’état jugeait par la voix des magistrats, tout serait perdu, jusqu’au nom de la justice. L’élévation au centre n’est donc pas une garantie absolue de lumière et d’équité. Voilà les juges bien choisis, instruits, expérimentés, indépendans. Est-ce assez ? S’en rapporte-t-on à leur probité et à leur sagacité ? Nullement. On a inventé les