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règles inflexibles de la procédure civile et de l’instruction criminelle, comme des méthodes nécessaires pour la découverte de la vérité. On ne s’en remet pas au juge des moyens de la chercher, on veut qu’il la trouve dans les formes : on suppose cependant que la codification a pour effet de rendre la loi tellement claire que l’interprétation en soit facile et sûre ; mais la publicité des débats, les règles de la récusation n’en sont pas moins là pour servir de contrôle à l’erreur ou à la passion. Est-ce tout ? Non, la société libre intervient en cas graves, sous la forme du jury, pour donner au citoyen une garantie contre la magistrature même. C’est la justice privée faisant invasion dans la justice publique. Et ce n’est pas le seul cas où une sorte de concurrence des particuliers vienne tempérer, vienne partager le privilège judiciaire de l’état. Parlerons-nous des juges consulaires et des prud’hommes ? parlerons-nous de la faculté de recourir à des arbitres ? Enfin, auprès de la magistrature officielle, il y a des hommes d’étude, mais libres et librement appelés, qui écrivent, qui consultent, qui parlent, qui éclairent la jurisprudence, préparent et parfois dictent ou redressent les sentences de leur supérieur légal. L’œuvre de la justice, dans son ensemble, est une œuvre commune à laquelle concourent la liberté et le pouvoir, le particulier et le public, l’individu et la société. Qui voudrait être jugé par un seul, le plus puissant et le plus éloigné, sous prétexte qu’il est le plus éclairé et le plus impartial, fût-il assis sous le chêne de Vincennes ? Enfin le centre même du cercle judiciaire est rempli par le concours des extrémités. C’est de la magistrature locale que l’on monte à la cour de cassation. On n’apprend à juger les affaires à distance qu’en les touchant de près. Ce système si compliqué n’est donc pas un système de centralisation pure et simple. Des garanties bien diverses s’y combinent et s’y balancent. Et puis enfin, tel qu’il est, qu’en pensent les grands jurisconsultes ?

On a dû voir que le mot centralisation a deux sens. Quand la centralisation exagère le nombre des attributions qu’elle enlève à l’activité libre de la société ou des individus, elle est plutôt le socialisme ; mais, quand elle retient dans les mains du gouvernement proprement dit toutes ces attributions, quelles qu’elles soient, et qu’elle accumule toutes les affaires au siège de l’empire, elle tombe dans l’abus auquel on a donné le nom de bureaucratie.

Au premier point de vue, nous avons indiqué que la centralisation avait pour limite ce qui est dû à la liberté personnelle. Le droit de l’individu est au-dessus de son bonheur ; une tutelle qui le rendrait heureux aux dépens de sa responsabilité ne serait au fond qu’une oppression séduisante. L’intérêt de l’autorité elle-même ne permet pas que, dans une intention protectrice et par amour d’une