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à propos de l’abolir. Un tel gage de respect donné aux libertés de la nation imposait naturellement l’obligation de pourvoir par un autre moyen aux logemens de l’armée. Des casernes s’élevèrent, non, comme dans d’autres pays encore, aux frais des municipalités, mais à la charge de l’état. Certes la bourse des contribuables paya ainsi en argent ce qu’elle payait auparavant en nature ; du moins le principe de l’inviolabilité du domicile était-il sauvegardé, et pour l’Anglais ce n’est point une médiocre conquête. Ces casernes (barracks), dispersées sur le sol de la Grande-Bretagne, ont été construites à différentes époques ; les plans en ont été dressés par des ingénieurs royaux, et les travaux furent exécutés sous forme de contrat par des architectes civils, Si elles ressemblaient toutes à la caserne d’artillerie de Woolwich, qui se développe majestueusement dans un espace libre et aéré, ou même à celle de Chatam, il n’y aurait rien à dire ; malheureusement la plupart des anciennes barracks ont été bâties dans un temps où la science de l’hygiène publique était encore dans l’enfance. Toute la presse anglaise s’émut, il y a deux ans, devant un rapport courageux publié à la suite d’une enquête qui avait eu lieu dans quelques casernes, et qui révélait tout à coup les faits les plus navrans[1]. Une sorte d’épouvante se répandit dans les consciences, et l’on se demanda ce qu’il y avait à faire pour soustraire à une mort sans gloire des hommes qui avaient au moins le droit de réclamer une fin plus digne et plus utile à leur pays. Divers remèdes ont été proposés ; le plus radical de tous, quoique le plus coûteux, serait de bâtir de nouvelles casernes ou de remanier profondément les anciennes selon les données modernes de l’architecture militaire. C’est là un sacrifice que les économistes n’envisagent point sans terreur, mais auquel la nation finira par se soumettre en vue des nobles intérêts qui s’y rattachent.

Au sein d’une nation où les citoyens dépendent très peu de l’état, où ils ne se reposent que sur eux-mêmes du soin de gouverner leurs affaires, le soldat anglais forme avec la masse des autres hommes un contraste encore plus frappant que chez les autres peuples, et en cela du moins il se sépare davantage de la société. En effet, il constitue le phénomène unique d’un être nourri, payé, vêtu, logé, défrayé

  1. Voyez dans les blue books of parliamentary reports pour 1858 le travail de cette commission. On y lit cette phrase effrayante : « La caserne n’est que l’antichambre de l’hôpital. » Nous ferons pourtant observer en passant que la méthode de ceux qui ont pris le parti d’écrire à tort ou à travers contre l’Angleterre consiste trop souvent à chercher leurs armes dans ces rapporta officiels. Ce sont à coup sûr des sources de renseignemens que je m’en voudrais de négliger ; mais on n’y trouve mentionnés en général que des cas rares et exceptionnels. Et puis n’y a-t-il point après tout une force essentielle dans un gouvernement libre qui a le courage de reconnaître le mal, et le courage encore plus grand de le publier ?