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et les pourvoyeurs. Les cuisiniers, accompagnés d’un sous-officier, achètent les autres articles de nourriture dans le voisinage. Si la somme des vivres mise à la disposition du soldat est plus considérable dans la Grande-Bretagne que partout ailleurs[1], il faut reconnaître aussi que les arrangemens culinaires laissent beaucoup à désirer, et à qui la faute ! Le soldat anglais est un cuisinier assez médiocre. Ce fait, dont on ne s’est que trop vite aperçu dans la campagne de Crimée, tient au caractère national ou plutôt à la division du travail qui a poussé dans les mœurs de si fortes ramifications. Le soldat britannique sait se battre, c’est son métier ; mais ne lui demandez point de se mettre à tout, ainsi que le fait le soldat français avec une sorte d’ardeur juvénile et de science infuse. Il est pourtant vrai de dire que cette guerre de Crimée, qui a donné tant d’autres leçons utiles à l’Angleterre, a de même exercé une influence heureuse sur l’alimentation de l’armée. M. Soyer, l’ancien cuisinier du Reform Club, ayant été envoyé sur le théâtre de l’action, donna aux troupes anglaises d’excellens avis sur les moyens de tirer parti des provisions les plus vulgaires. Le colonel Tulloh, aujourd’hui un des trois directeurs de l’arsenal de Woolwich, a également soumis à une commission chargée de faire une enquête sur l’état sanitaire de l’armée (1857) d’excellentes vues pour améliorer le régime diététique du soldat. Les autorités militaires sont déjà entrées dans cette voie, et au camp d’Aldershott des expériences qu’on ne saurait trop encourager se poursuivent avec succès. Le capitaine Grant a inventé des appareils de cuisine à l’usage des soldats qui permettent de transformer à peu de frais les alimens. Le but est nettement tracé : fournir à l’ordinaire de l’armée plus d’agrément et de variété sans imposer des charges nouvelles au trésor public. La science a commencé, c’est à la pratique de faire le reste et de diriger la main des soldats dans une conquête domestique regardée ici comme très importante par les hommes de guerre.

Sous le rapport de l’habillement comme sous celui de la nourriture, le soldat anglais est privilégié. Il se montre généralement plus propre et mieux couvert que dans les autres états militaires de l’Europe. Il s’en faut pourtant de beaucoup que l’administration ait désarmé sur ce point toutes les critiques. Jusqu’à ces derniers temps, le soin d’entretenir l’armée avait été entre les mains des officiers, et plus tard des colonels ; il est inutile de signaler les abus qui en résultaient, puisque ces abus ont maintenant cessé avec le système. En 1854, époque des grandes réformes militaires, le gouvernement se donna là charge d’habiller les troupes. À dater de ce moment, il y a eu des progrès certains dans la forme et dans la qualité du costume

  1. Une livre de pain et trois quarts de livre de viande par jour.