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Le fait fut bientôt connu du capitaine de vaisseau et des chefs du régiment. Ils décidèrent que ce dévouement de jeune fille ne devait pas rester sans récompense. Le mariage eut lieu sur le vaisseau en présence du colonel et des autres officiers. En l’absence du chapelain, le capitaine du navire présida lui-même à la cérémonie nuptiale. Terence et Marguerite vécurent comme mari et femme pendant les quatre mois que dura la traversée. Malheureusement la fin de cette histoire répond assez mal à ce poétique début. Un jeune officier qui était présent à la cérémonie du mariage et qui faisait même l’office de clerc, lisant les répons dans le livre de prières, s’introduisit dans les bonnes grâces de la femme du soldat. Quand le régiment arriva à Sidney, la frêle et inconstante Marguerite abandonna Terence et transporta ses affections sur le galant officier, avec lequel elle vécut jusqu’à sa mort.

Les femmes des soldats constituent dans les casernes anglaises un des types de la vie militaire. Jeunes filles, elles ont été pour la plupart attirées par les plis du drapeau, par le bruit du tambour, par l’éclat de l’uniforme, et par toutes ces coquetteries de la gloire qui exercent une séduction si forte sur certains cœurs féminins. Un petit nombre de femmes néanmoins trouvent à se loger dans les casernes, et encore, par suite des mauvaises distributions architecturales dont j’ai parlé, y a-t-il plus d’une barrack où, selon le rapport même des commissaires, les lois de la décence n’ont pas toujours été respectées dans l’arrangement des lits. Ces femmes sont entre elles bavardes, querelleuses, curieuses de se glisser dans les affaires les unes des autres, au point que l’intervention du mari est quelquefois nécessaire pour rétablir l’ordre. Elles se montrent d’ailleurs actives et industrieuses. Une de leurs grandes occupations, ainsi qu’une petite source de profit, est de passer à l’eau le linge des soldats célibataires. Ce genre de travail est tellement attaché à leur condition, qu’une jeune fille courtisée par un soldat, et qui n’avait pas encore répondu à ses avances, me confiait ainsi naïvement le motif de ses hésitations : « J’aime Robinson, et la vie militaire me plaît, mais je n’aime pas à blanchir. » Les plus artistes d’entre ces femmes de régiment ont un goût décidé pour le piano ; seulement à les entendre frapper les notes d’une main plus hardie que délicate, on serait tenté de croire que ce n’est point la musique qu’elles recherchent, mais le bruit. Le gouvernement anglais, en s’occupant d’organiser l’éducation militaire, n’a point oublié la compagne du soldat. Il existe pour chaque régiment ou pour chaque garnison une maîtresse d’école qui instruit surtout les jeunes filles et les enfans. On s’est dit que le meilleur moyen de régénérer le soldat était d’élever de bonne heure le moral et les connaissances de la femme.