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Français dans la Grande-Bretagne. Le prisonnier pour dettes tremble pour la liberté, le portefaix pour les charges que les Français imposeront au pays, et le soldat pour la religion. Je serais tenté de croire que cette foi dans les grandeurs de la réforme anglicane a été imprimée à l’armée d’outre-mer par la forte main de Cromwell[1]. Quoi qu’il en soit, les Français eux-mêmes, du temps du premier empire, avaient découvert ces armes spirituelles, et ils essayèrent, dans plus d’un cas, de les tourner contre leurs ennemis. Il est à remarquer que la plupart des batailles de la Péninsule et enfin la fameuse bataille de Waterloo ont été livrées le dimanche. Connaissant le respect des Anglais pour le repos du septième jour, les généraux français espéraient en tirer parti dans leurs attaques. J’avoue qu’ils n’eurent pas toujours à se louer de leur calcul ; les troupes anglaises violèrent glorieusement le sabbat. Elles donnèrent ainsi raison à ce proverbe qui a cours dans la Grande-Bretagne : « Mieux vaut le jour, mieux vaut l’action ; better the day, better the deed. »

J’insiste sur ce caractère parce que si jamais, ce qu’à Dieu ne plaise, une guerre européenne se rallumait et que l’armée anglaise y intervînt, le sentiment religieux pourrait encore bien exercer sur elle une sérieuse influence. Le fanatisme militaire n’existant point dans la nation, il nous faut chercher ailleurs les mobiles qui ébranlent à un moment donné les forces britanniques. La gloire est un mot qui trouve assez peu d’écho dans le cœur du soldat anglais : parlez-lui du devoir, et il se passionnera jusqu’à l’héroïsme. Une idée qui le poursuit à travers les solitudes de l’ancien et du Nouveau-Monde est l’idée de la patrie absente. « Que pensera-t-on de nous en Angleterre ? » se demandent sur tous les champs de bataille des hommes qui ne reverront peut-être plus le sol natal. Ce patriotisme a en quelque sorte passé dans le sang. Un jeune tambour anglais tombe entre les mains de l’ennemi. Pour s’assurer si l’enfant était bien un prisonnier de guerre ou un espion déguisé en tambour, on lui ordonne de battre la retraite. « La retraite ? s’écrie-t-il. Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Nous ne connaissons point ce mot-là dans l’armée anglaise. »

Le soldat anglais est brave, mais il y a plus d’un genre de courage. Les Anglais ont un mot à eux qui n’est guère usité que dans le langage familier, et qui pourtant exprime bien la nuance d’intrépidité qui distingue la race. Ce mot, dérivé de l’ancien saxon, c’est le

  1. Il est curieux de lire les déclarations de son armée, cette armée de saints, qui porte la lumière, et qui est envoyée au monde par Dieu le père et par Jésus-Christ pour rétablir le règne de la Bible. Les Anglais considèrent Olivier Cromwell comme l’un des créateurs de la science militaire. Avant lui sans doute il y avait en Angleterre des soldats, mais y avait-il une armée ?