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les aller voir sur place, devant ces murailles qui ne voyagent pas. Tant que nous les jugeons sur leurs panneaux et sur leurs toiles, nous ne connaissons, à vrai dire, que la moindre partie, la face la moins noble, la moins originale et la moins éloquente de l’art italien.

Ce qui devient d’une explication moins facile, c’est que, dans cette même Italie, il est des lieux où la fresque fut à peine en usage, comme Venise par exemple, et que là nous marchons aussi de surprise en surprise devant de simples tableaux à l’huile. Les maîtres les plus célèbres et les plus répandus en Europe, ceux dont partout on croit le mieux connaître le talent, se montrent là sous un jour tout nouveau. On fait devant leurs œuvres de véritables découvertes. Est-ce l’influence du climat, l’effet de la lumière, la présence des lieux où sont nées ces peintures ? Est-ce le choix plus nombreux, la variété plus abondante des œuvres de chaque maître, et une certaine harmonie locale qui prédispose à mieux sentir et à mieux admirer ? Je ne sais ; mais il n’est pas un voyageur qui n’en ait fait l’expérience : nulle part comme à Venise on ne comprend, on n’aime, on n’apprécie les maîtres vénitiens.

Eh bien ! il faut en dire autant des Hollandais et des Flamands. Eux aussi, ce n’est vraiment qu’en Flandre et en Hollande qu’on arrive à les bien connaître. Ils sont pourtant goûtés, recherchés, admirés en tout pays, en tout climat, ces enfans gâtés de la mode ! De toutes les peintures, c’est bien là la plus cosmopolite, celle qui répond partout au goût du plus grand nombre, et qu’à New-York, aussi bien qu’à Paris, on se dispute au prix des plus grandes folies. Ces merveilleux petits chefs-d’œuvre ont, dans le monde entier, surtout depuis quinze ou vingt ans, une valeur marchande non moins certaine, non moins universelle que les pierres fines et les métaux précieux. C’est vraiment au carat qu’on les achète et qu’on les vend, et même ils ont cet avantage sur les autres matières d’affinage et de joaillerie que la mine en est épuisée, et que ni le Pérou ni la Californie n’en peuvent fournir de nouveaux. On croirait donc que des trésors d’un prix si bien connu devraient, à peu de chose près, sauf les variations du change, avoir sur tous les marchés du monde non-seulement même valeur, mais aussi même beauté ; il n’en est rien pourtant. Ils ont un attrait de plus ; un charme incomparable dans leur pays natal. Ce n’est point prévention, c’est pure vérité. Il faut voir en Hollande Paul Potter et Rembrandt, aussi bien que Titien à Venise.

Bien d’autres avant moi ont fait cette remarque, et moi-même, depuis déjà trente ans, j’en ai plus d’une fois vérifié la justesse, sans que l’idée me soit venue d’en entretenir le public ; mais tout dernièrement, pendant quelques journées passées aux Pays-Bas, ce