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lieu-commun s’est rajeuni pour moi d’une façon si saisissante qu’on me pardonnera, j’espère, d’en chercher ici les raisons.

Ce n’est pas seulement chaque maître en particulier qui, sous le reflet de ce ciel un peu pâle, même en ses meilleurs jours, dans cette atmosphère de canaux, au milieu de ces maisons proprettes, ombragées et luisantes, paraît mieux à son jour, plus en valeur, plus attrayant ; c’est l’école elle-même, ou plutôt ce sont ses deux branches qui, vues dans leur ensemble, dans leur complet développement, depuis leur commune racine jusqu’à leur dernier rameau, prennent une ampleur, une importance, une richesse traditionnelle et hiérarchique dont ailleurs que dans le pays même on ne peut avoir aucun soupçon.

Trois causes principales mettent, à mon avis, la Flandre et la Hollande hors de pair avec tous les pays réputés les plus riches en tableaux hollandais et flamands.

La première est qu’on ne peut voir qu’en Flandre cinq ou six vieux chefs-d’œuvre, derniers et incomparables témoins de l’art flamand primitif ; la seconde, qu’au XVIIe siècle, à son âge viril, ce même art a produit en Hollande certaines œuvres vraiment exceptionnelles et par la dimension des toiles et par la puissance du pinceau, œuvres restées dans le pays, destinées à n’en jamais sortir, et qui révèlent chez ceux qui les créèrent des dons et des facultés qu’ailleurs on ne leur connaît pas. Vient enfin la troisième cause, qui risque par malheur de disparaître un jour, et qui déjà s’est beaucoup affaiblie : je veux parler des collections particulières que l’esprit de famille a sauvées jusqu’ici, dernier reste des nombreux cabinets formés il y a deux siècles, aux jours les plus brillans de l’école hollandaise ; petits musées harmonieux et épurés, où chaque maître semble avoir travaillé pour un ami ou pour un bienfaiteur, et s’est comme efforcé de dire son dernier mot.

Il y a là, comme on voit, trois sortes de privilèges dont la Belgique et la Hollande sont seules en possession et qui leur garantissent le pèlerinage obligé de quiconque veut connaître à fond les origines, les diversités et les perfections de leur féconde et ingénieuse école. Reste à mieux indiquer et à suivre avec quelque détail ces trois divisions que je viens de tracer.

Ce n’est pas sans raison et par vain plaisir d’érudits qu’aujourd’hui la plupart des critiques ont en si grande estime les œuvres des vieux maîtres. Même indépendamment de leur propre valeur et des beautés naïves qu’on ne trouve que là, les premiers essais d’une école sont, pour les œuvres de sa maturité, tout à la fois un titre de noblesse et le plus attachant commentaire. Glissez sur Cimabue, sur Giotto, sur cette longue série d’artistes qui ont précédé, préparé et