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de l’Union ne pouvait-il pas à son tour faire brûler Londres par des mercenaires anglais, aisément recrutés au milieu d’une population affamée et corrompue ? L’épée était tirée, il fallait que pleine justice fût faite. Point de trêve, point de relâche avant d’avoir obtenu le Canada en indemnité des mille navires saisis par les croiseurs britanniques et des six mille matelots enlevés par la presse, avant d’avoir assuré pleine sécurité pour l’avenir à tout homme naviguant sous le pavillon américain ! Cela fait, la paix avec la Grande-Bretagne et la guerre avec la France !

Quelques semaines s’étaient à peine écoulées que l’événement dissipait ces flatteuses illusions d’un patriotisme un peu puéril et donnait tort à ces vues hasardées sur la conduite de la guerre. Pendant presque tout le cours des hostilités, Jefferson eut à déclamer contre « la trahison, l’incapacité ou la couardise » des généraux dont il avait célébré à l’avance la marche triomphale, et à se réjouir, non sans quelque effort, de la gloire conquise par la petite marine dont il avait toujours comprimé le développement et prédit l’insuccès. Son ardeur belliqueuse tomba vite ; il cessa de prédire la chute de la domination anglaise dans l’Amérique septentrionale pour parler avec amertume de la ruine des planteurs, du poids des taxes, de « l’extravagance financière » du congrès, des « sottes vanteries de la presse, » et lorsque la cité de Washington fut prise et brûlée presque sans résistance sous les yeux mêmes du président, le vieux patriote en était arrivé à soupirer après la paix avec assez d’impatience pour regarder ce honteux échec comme une mortification salutaire. Le 22 novembre 1814, il écrivait à M. Short avec une tristesse courageuse : « Tout ce que j’attends de cette guerre, le voici : beaucoup de souffrances, de dures privations, et pour tout avantage celui d’apprendre à notre ennemi qu’il n’a rien à gagner avec nous par des injures gratuites. Quant à moi, cet état de choses m’oblige à faire le sacrifice de toute tranquillité et de tout comfort pour le reste de mes jours, car bien que la faiblesse de l’âge me rende impropre aux services et aux souffrances des camps, grâce à la dépréciation absolue des produits qui devaient me procurer la subsistance et l’indépendance, je serai, comme Tantale, avec de l’eau jusqu’aux épaules et mourant de soif… Mais nous avons beau n’être pas tout à fait insensibles, nous n’aurons pas de faiblesse. Disons, comme lors de la guerre révolutionnaire : « Les maux de la résistance sont grands, ceux de la soumission seraient pires. » Et à M. Correa de Serra, le 27 décembre 1814 : « Mon espoir est dans la paix… Notre devise, au début de cette guerre, était indemnité pour le passé, sécurité pour l’avenir ; il faut renvoyer ce programme à la prochaine guerre, lorsque, désarmé et ayant fait banqueroute, notre ennemi sera moins capable d’insulter et de piller impunément le