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irait ainsi, par le rachat, à l’encontre des satisfactions que l’on veut donner et que l’on espère. L’œuvre tout entière pourrait être remise en question. On trouvera peut-être qu’il est dans notre sujet de rappeler à cette occasion, et pour justifier ces craintes, que l’état a mis plus de quarante ans à doter le pays du réseau tout à fait incomplet de nos canaux. Le gouvernement doit.en effet comparer toujours les ressources dont il dispose avec la masse des besoins divers auxquels il doit pourvoir. Les réformes économiques et administratives qu’il essaie et qu’il médite peuvent amener, dans l’équilibre du budget des modifications assez profondes pour qu’il en résulte un temps d’arrêt forcé dans l’extension qu’il voudrait donner aux travaux publics, et le progrès des chemins de fer recevrait le contre-coup des lois de prudence que nécessiteraient les soins généraux de la chose publique. Veut-on courir cette aventure ? A-t-on oublié, lorsqu’on parle de remettre tous les chemins à la charge de l’état, que le budget se discute tous les ans, que les assemblées sont mobiles, et qu’un vote émis dans un moment d’émotion peut tout arrêter ?

Mais, dira-t-on, vos prévisions ne se réaliseront pas. L’état trouvera abondamment, et dans des conditions favorables, les capitaux qui lui sont nécessaires pour mener à bien la double entreprise du rachat et de l’achèvement des réseaux. Certes, si jamais l’état, donnant suite à l’idée qu’on lui prête, devenait maître des chemins de fer, nous serions le premier à lui souhaiter une prompte et complète réussite, et nous serions heureux de nous trouver en défaut sur tous les points que notre critique a essayé de mettre en lumière ; mais, en supposant l’opération réussie, l’état en possession des réseaux complets de nos voies ferrées, que fera-t-il de cette précieuse acquisition ? — Les chemins de fer deviendront un ministère. — Est-il de l’essence du gouvernement de se trouver mêlé à chaque instant aux affaires actives du pays, au mouvement des intérêts privés ? L’exploitation, la construction des chemins de fer, réclament le concours d’un personnel accoutumé ou préparé aux expédiens de la pratique des transactions industrielles, financières, commerciales et contentieuses[1], et ce personnel ne paraît réunir aucune des conditions ni réclamer aucune des aptitudes qui. seraient utiles à sa métamorphose en un personnel de fonctionnaires.

Cependant, l’état possédant et exploitant les chemins de fer avec une armée de fonctionnaires, les habitudes, les procédés de l’administration

  1. De quelle juridiction ressortiraient les affaires contentieuses avec, les particuliers des chemins de fer possédés et exploités par l’état ? Aurait-on affaire à la juridiction administrative, préfectorale, consulaire ou civile, ou à toutes, dans des espèces à déterminer par une série de lois nouvelles ?