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cause, car il faut lui rendre cette justice que, s’il ajourne la réalisation de nos espérances, il est loin de les décourager. À la verdeur sympathique avec laquelle il parle de la liberté anglaise, on reconnaît la vivifiante vertu de ce bain de liberté, pour employer le mot de M. de Montalembert, qu’il vient de prendre en Angleterre. Aussi comptons-nous bien qu’il ne se contentera pas de témoigner d’honorables égards aux personnes, qu’il ne lui suffira pas de montrer sa sympathie à la presse par l’amnistie des avertissemens, et qu’il saura donner, lorsque les circonstances l’y aideront, les avis sagement hardis et les impulsions décisives.

Les préoccupations que nous inspire le nouvel ordre politique dans lequel entre la France seront notre excuse, si nous nous laissons plus difficilement distraire, par les questions extérieures, de l’intérêt qu’excite en nous la seule perspective de la renaissance de la vie politique dans notre pays. Nous prenons, sans choisir, les questions extérieures qui sont en ce moment posées. Il en est une qui s’élève sous une forme imprévue : l’état de la Turquie à propos de cet emprunt ottoman qui remplit de ses prospectus les vides colonnes de nos journaux silencieux. Certes, si nous avions eu besoin d’un fait pour démontrer l’influence qu’a eue sur l’esprit et les mœurs de la presse française le régime auquel on l’a mise depuis huit ans, il ne pouvait s’en offrir de plus actuel et de plus frappant que l’inertie muette de cette presse devant un emprunt qui soulève des questions politiques et financières si importantes. C’eût été à notre sens le moment pour la France d’examiner sérieusement la politique qu’elle veut suivre vis-à-vis de la Turquie, de se demander quelle vitalité réelle possède l’empire ottoman, quelles sont les réformes, si la Turquie doit vivre, que l’on peut exiger d’elle. Une presse active eût vivement interpellé sur ces questions notre gouvernement ; elle lui eût demandé si l’opération financière à laquelle on engage les capitaux français, surtout les petites économies de nos classes industrieuses, présente au point de vue politique une convenance réelle, et au point de vue financier une sécurité suffisante. Ces questions eussent été agitées et se fussent éclairées par la discussion. L’effort, paraît-il, a été trop grand pour le marasme chronique de notre presse. Tout s’est tu, et ce sont les prospectus de l’emprunt qui ont cette fois exposé à, notre usage, et au profit sans doute des prêteurs, la question d’Orient en 1860.

La situation financière de la Turquie est à la vérité depuis un an le point le plus compromis de cet empire malade. C’est par là que la vie matérielle de l’empire ottoman était, depuis un an, exposée à subir une perturbation profonde, et si la crise finale de la Turquie est aussi prochaine que quelques-uns le prétendent, on peut prévoir dès à présent que c’est par les finances qu’elle éclatera. Ce jour-là, s’il n’était pas possible de le prévenir, la Porte ne pouvant plus payer ses services publics, ne pouvant plus acquitter ses dettes, nourrir ses fonctionnaires et ses soldats, la décomposition de l’empire ottoman de chronique deviendrait aiguë, et tous les mem-