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mais avec une aisance, une liberté, qui rappelaient les jours d’autrefois. M. de Savines parla en homme du monde qui a beaucoup voyagé ; il avait la séduction de la simplicité. On fit un peu de musique ; Marie tira du piano des sons plus expressifs, plus variés ; le clavier sonore palpitait sous ses doigts. Elle chanta même, et Marthe s’étonna de l’ampleur et du charme sympathique de sa voix. Ce n’était plus une timide écolière, c’était presque une artiste. Le chasseur applaudit, et, mis en verve, prit la place de Marie. Il se souvenait de quelques morceaux d’un opéra qui faisait grand bruit à Paris ; il avait du goût, on l’écouta attentivement.

— Tout cela est vieux de quinze jours ! dit-il. Peut-être l’avez-vous entendu déjà ?

— À Paris, n’est-ce pas ? répondit Marthe ; mais Paris est à l’autre bout du monde…

On continua. La musique et la conversation alternaient. Tout à coup Marthe ouvrit une porte intérieure. — Eh ! la Javiole, offre-nous du thé, s’écria-t-elle ; puis, se tournant vers leur convive : — Monsieur, reprit-elle gravement, n’allez pas croire que ces prodigalités soient dans nos habitudes ; mais c’est aujourd’hui fête !

La Javiole apporta le thé. On découvrit une galette sur le plateau. Marthe battit des mains. — Voilà des magnificences sur lesquelles je ne comptais pas, dit-elle. Cependant la pluie ne battait plus les murs. Marie ouvrit la fenêtre, une bouffée d’air frais et tout parfumé des saines senteurs des bois pénétra dans le salon ; mille étoiles scintillaient dans le ciel pur.

— L’orage a cessé, dit Marthe.

— Déjà ! s’écria M. de Savines,

On aperçut alors Francion, qui tenait par la bride le cheval du garde tout sellé. — Eh ! monsieur, dit-il, la nuit est claire, on peut se mettre en route.

— Hélas ! murmura le jeune homme.

La connaissance faite, M. de Savines retourna à La Grisolle. On le présenta à M. Pêchereau. Les circonstances où s’étaient formées les relations des deux sœurs et de M. de Savines leur donnaient un caractère particulier d’intimité. Dès la seconde rencontre, il semblait qu’on se connaissait depuis un an. Le garde-général avait une de ces natures avec lesquelles on se sent à l’aise dès le premier abord. S’il ne disait pas toujours tout ce qu’il sentait, on comprenait vite que la parole n’était que le vêtement de sa pensée. Avec lui, point de masque à déchirer, point d’abîme à creuser, rien d’obscur ou de tortueux. Après qu’on eut passé ensemble quelques soirées, on s’étonna de part et d’autre d’être resté si longtemps sans se voir. M. de Savines déclara qu’il en voulait à Francion de ne l’avoir pas pré-