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bien sûrs cependant d’avoir remplacé par quelque qualité équivalente cette austérité de vie chrétienne, cette ferme obéissance à la loi divine qui eût ajouté peut-être un élément précieux au caractère français, et qui nous eût donné dans la vie publique, avec un inébranlable respect de la loi politique et civile, une inébranlable stabilité des institutions se développant suivant la règle d’un proférés non interrompu?

Si l’on craignait plus que tout au monde l’esprit sectaire, que ne s’abstenait-on du moins d’étouffer une troisième opposition, celle de Fénelon, du duc de Chevreuse et du duc de Beauvilliers? Y avait-il de ce côté-ci assez de religion et de vertu, assez de pureté d’âme et de charité? On peut s’aventurer à croire que le duc de Bourgogne, s’il eût régné, eût gouverné la France par ses qualités plutôt que par ses défauts; mais non ; la majestueuse unité du règne de Louis XIV n’a rien voulu souffrir qui ternît son éclat officiel; la tolérance eût paru de la faiblesse; protestans, jansénistes, partisans de Fénelon et du duc de Bourgogne, on a écrasé par la persécution et les supplices, par la disgrâce et l’exil, ces trois oppositions diverses, et l’on a de la sorte déblayé la carrière devant une quatrième opposition, bien plus redoutable que celle-là, devant l’opposition dissolvante de ceux qu’on appelait les libertins, c’est-à-dire les railleurs et les libres esprits. Placée en face des autres partis et engagée dans une lutte loyale et au grand jour, peut-être la liberté d’esprit se fût-elle contenue dans de justes bornes, et aurait-elle été l’énergique levier des droits qui restaient à conquérir graduellement et légalement; mais mise en présence d’un despotisme royal qui, après avoir fait table rase, n’avait laissé vivre que les privilèges, elle engagea un sourd et obscur combat, avec le scepticisme et la raillerie pour dangereux alliés, avec l’épicurisme sensuel pour écueil. L’esprit philosophique du XVIIIe siècle, il est vrai, sauva une partie du naufrage, et pendant que l’église expiait par de cruels malheurs sa part de complicité avec le règne de Louis XV, il jeta sur le sable encore mouvant, comme bases d’un nouvel édifice, les principes de la révolution française; mais cette œuvre de nos pères est restée incomplète, et c’est à nous de ramener toutes les rênes, de reprendre en main toutes les forces vives, de les réconcilier ensemble, afin que le char de l’état ne reprenne pas, par le même chemin ou par quelque autre, sa marche écrasante, dangereuse à lui-même et à nous.

Notre analyse de cette première leçon ne serait fidèle que si elle rendait les citations et la forme toutes littéraires qui en adoucissaient l’allure, les mots heureux qui y répandaient le charme, la vive expression qui provoquait l’échange sympathique des idées et des sentimens, des regrets et des espérances, des repentirs et des aveux. S’il y a eu désillusions qui, hier encore, eussent paru suspectes à quelques esprits chagrins, ç’a été pour se réjouir de ce qu’apparemment elles ne l’étaient plus. Bien plus, M. Saint-Marc Girardin a exprimé l’espoir que ses auditeurs ne seraient pas surpris si, à la faveur des circonstances, il parlait plus librement encore désormais d’opposition et de liberté; ils le prendraient tout au plus pour un revenant, non pour un ressuscité, lui qui ne s’était jamais cru mort! En Sorbonne du moins, on n’avait jamais cru autre chose.


A. GEFFROY.


V. DE MARS.