Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une belle révérence. L’expression de la douleur la plus sincère parut sur le visage de M. de Savines. — Ah ! tu seras toujours la même ! reprit Marie.

— Toujours ! répliqua Marthe d’une voix sonore.

On s’assit à table un peu tristement. Marthe seule montra de l’entrain ; elle causait pour tout le monde et remuait sans cesse ; cela paraissait l’amuser d’entendre le bruissement de sa robe de taffetas. Après le déjeuner, qui ne se prolongea pas beaucoup, elle se mit au piano et joua des airs de danse avec une verve et un élan qui faisaient retentir la maison. La Javiole parut derrière la fenêtre et battit des mains. — À la bonne heure ! dit-elle, voilà de la musique qui ferait danser ma poule.

Marthe sortit bientôt après ; M. de Savines la suivit ; elle avait les joues en feu. Cette fois elle ne l’évita pas. — Est-il vrai, mademoiselle, dit-il, que vous soyez heureuse dans cette parure ?

— Très vrai, monsieur ; pourquoi mentirais-je ? répondit Marthe, qui avait envie de pleurer.

— Si j’osais exprimer toute ma pensée, j’ajouterais que ce n’est pas là tout à fait ce que vous paraissiez éprouver, il y a quelques mois, lorsque nous causions sur le bord de l’étang ; vous en souvenez-vous ?

— Parfaitement ; je me croyais alors plus forte que je ne suis… J’ai ouvert mes tiroirs l’autre jour ; je ne sais quel parfum m’est monté à la tête,… et j’ai plongé mes mains dans ces bagatelles d’autrefois avec un sentiment d’ivresse inexplicable, mais profond. Depuis ce moment, je ne fais que rêver. Des visions de bal traversent mes songes, j’entends les chants de l’orchestre, mon sang bout, et à mon réveil la campagne me fait horreur…

— Cette campagne où le bonheur m’était apparu !

Marthe sentit que son cœur se déchirait. — Eh ! oui, reprit-elle, hier je m’y croyais heureuse ; aujourd’hui ces bois, ces coteaux, ces clairières que j’aimais, tout cela m’étouffe… On n’est pas maître de ses mouvemens, on les subit.

Il y eut un silence. Mlle de Neulise et Olivier étaient arrivés au pied d’un bouquet d’arbres d’où la vue embrassait la métairie. Par la fenêtre ouverte, on apercevait le profil de Marie, penchée sur un ouvrage de broderie ; tout à coup ils la virent se lever et s’asseoir devant son piano. Bientôt quelques sons, poussés par le vent, arrivèrent en ondes sonores jusqu’à eux. Un rayon de soleil tombait sur sa tête et l’illuminait ; quelques pampres lui faisaient un cadre mouvant.

— Voyez ma sœur, poursuivit Marthe ; elle est restée telle que Dieu l’a faite, humble et soumise, tout entière au devoir, n’aimant