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trouva accoudée à la fenêtre la tête dans sa main, la pensée dans les nuages. Le rouge monta au visage de Marie, qui sans répondre embrassa Marthe. — Petite sœur, poursuivit celle-ci, viens dîner, mange un peu pour faire plaisir à la Javiole, prie le bon Dieu, et dors tranquille… M. de Savines sera bientôt ici.

Cette fois Mlle de Neulise était décidée à ne rien épargner pour l’amener à La Grisolle, fallût-il aller le chercher elle-même et le disputer à une fiancée.

Valentin revint dans la nuit ; Marthe l’attendait. — M. de Savines sera aux Vaux-de-Cernay au petit jour, dit-il. Votre lettre n’était pas dépliée qu’il l’avait lue… Il a donné l’ordre devant moi de préparer sa valise et de seller son cheval.

— Merci, mon bon Valentin, répondit Marthe, qui courut prendre quelques heures de repos.

Valentin rentra tristement chez lui. — Son bon Valentin ! disait-il ; il est certain qu’elle ne m’aimera jamais ! Sait-elle seulement si j’ai le cœur gros ?… Me voit-elle quand elle me parle ? Si j’étais un homme, j’irais me casser la tête… Qu’avait-elle besoin de venir ici ? Elle a fait de moi quelque chose,… et sans elle désormais je ne serai rien.

Avant le jour, Marthe avait fait une moisson de fleurs qu’elle mit en gerbes dans tous les vases. Le premier regard de Marie les aperçut ; la maison avait un air de fête : elle s’habilla à la hâte sans oser questionner sa sœur. Pourquoi cette parure ? pourquoi cette gaieté, cette malice dans la physionomie de Marthe ? Le galop d’un cheval retentit en ce moment dans la petite avenue qui conduisait à La Grisolle. Marie se sentit pâlir. — Qu’est-ce que cela ? dit-elle.

— Regarde, répondit Marthe, dont le cœur n’était pas le plus lent à battre.

Marie se pencha sur l’appui de la fenêtre. M. de Savines descendait de cheval. Marie chancela. Marthe poussa un cri. — Ah ! n’aie plus peur !… Le cœur me manque ;… mais il est là ! dit Marie le visage rayonnant de joie.

Cette parcelle de diplomatie qu’on trouve dans le cœur des femmes les plus candides avait inspiré la lettre que Mlle de Neulise avait adressée à M. de Savines : elle ne s’en serait peut-être pas servie pour elle-même ; la pensée de sa sœur la décida. M. Pêchereau était retenu à Rambouillet par des rhumatismes auxquels le bonhomme était sujet. Marthe prit prétexte de l’isolement où l’absence de leur protecteur naturel les mettait pour prier Olivier de ne pas abandonner leur voisinage de quelque temps. On pouvait avoir besoin d’un secours pendant la nuit : à qui s’adresserait-on, si le solitaire des Vaux-de-Cernay quittait son ermitage ? Elle avait pensé que son