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à une séparation plus effective dans l’administration et la politique. Cette rivalité qui animait les races de l’Orient et de l’Occident, Constantinople et Rome, pouvait devenir, sous la main d’hommes ambitieux, un redoutable instrument de perturbation et de guerre : les tuteurs des deux princes ne manquèrent pas de s’en saisir, et tandis que Rufin se portait pour représentant absolu des intérêts de l’Orient en haine de Stilicon, celui-ci, par un sentiment opposé, embrassa le patronage exclusif des intérêts occidentaux.

Il venait de s’élever entre Constantinople et Rome une nouvelle cause de jalousie, qui cette fois n’était pas imaginaire, mais affectait au contraire assez gravement l’équilibre du monde romain. L’ancienne Grèce, déshéritée de son nom (on l’appelait alors Illyrie orientale), avait, jusqu’au principat de Théodose, dépendu de l’empire d’Occident, comme annexe de l’Italie. Il y avait dans cette délimitation administrative quelque chose d’anormal qui choquait les mœurs et les traditions historiques, car la Grèce, étrangère aux races de l’Occident, avait imposé sa langue, sa littérature, ses arts, à toute la Romanie orientale; son souffle animait cette moitié du monde romain, et Constantinople n’était rien qu’une ville grecque. Gratien, en remettant aux mains de Théodose l’Illyrie orientale, alors envahie par les Goths, avait eu pour but une meilleure organisation de la défense autour de Constantinople : c’était pour lui, suivant toute apparence, un simple arrangement temporaire ; mais Théodose, mû par des considérations d’un ordre plus élevé, voulut rendre l’arrangement définitif. Lorsque, sur son lit de mort, il régla les parts de ses deux enfans dans l’univers romain et le domaine qui serait attaché à chacune des métropoles, il comprit l’Illyrie orientale dans le domaine de Constantinople et dans le lot d’Arcadius. De cette façon, la Macédoine, les deux Épires, la Thessalie et l’Achaïe se relièrent militairement aux provinces du Bas-Danube, qu’elles touchaient par la chaîne de l’Hémus, et les deux Grèces, soumises à une administration commune, n’eurent plus entre elles d’autre barrière que la mer Egée. Ces raisons, si bonnes qu’elles fussent, ne pouvaient convaincre les Occidentaux. Rome ne vit dans une mesure de sage politique qu’une vengeance de l’empereur défunt; Honorius se crut lésé au profit de son frère, et Stilicon, cédant au courant de l’opinion populaire, laissa percer le désir que la séparation ordonnée par l’empereur défunt ne s’accomplît pas. Toutefois nul n’osa résister ouvertement en face de ce cadavre qui imposait le respect. Théodose régnait encore, sous le linceul, comme si son épée n’eût pas été enchaînée par la mort.

La trêve ne dura pas longtemps, grâce aux ministres, qui furent les premiers à la rompre. Théodose, si grand par le cœur, manquait d’une des principales qualités du souverain, le discernement des