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public, et en ce sens ils ne font pas concurrence aux ouvrières ; mais il n’y a dans les compagnies hors rang, chargées de l’habillement de la troupe, que des tailleurs et des cordonniers : on confectionne au dehors tous les autres effets, c’est-à-dire les chemises, les guêtres, les caleçons, les havresacs, la passementerie. Même pour l’habillement proprement dit, le maître tailleur ne fait guère coudre par ses hommes que les tuniques ; il donne les pantalons à coudre à des entrepreneurs civils. Si l’introduction des machines ne coïncide pas avec une diminution de l’effectif des compagnies hors rang, les soldats de ces compagnies feront eux-mêmes une partie des confections données aujourd’hui au dehors, et il y aura encore là une perte notable pour l’industrie privée.

En somme, les ouvrières à l’aiguille forment plus de la moitié du nombre total des ouvrières. Parmi elles, il y a lieu de distinguer les ouvrières d’un talent exceptionnel, qui travaillent pour la commande, et les ouvrières d’un talent ordinaire, qui travaillent pour la confection. Le nombre des premières va en décroissant. La moyenne de leurs salaires a plutôt augmenté que diminué depuis 1847 ; en la fixant à 2 fr. par jour, comme à cette époque, on reste vraisemblablement au-dessous de la vérité. Les secondes, incomparablement plus nombreuses, n’ont point participé à l’élévation continue des salaires. La concurrence, le commerce en gros et les machines ont maintenu le bas prix des objets confectionnés et de la main-d’œuvre. Le chiffre de 1 fr. 42 c, indiqué par l’enquête de 1851 et qui a été justement taxé d’exagération, ne peut pas s’être amélioré ; il est certain au contraire qu’il est en ce moment au-dessous de 1 fr. 25 c. pour une journée de douze heures. Les causes qui ont amené cette dépréciation continuant d’agir, on ne saurait prévoir à quel taux le mouvement de baisse s’arrêtera. Ces chiffres de 2 fr. pour la première catégorie d’ouvrières et de 1 fr. 25 c. pour la seconde sont les chiffres de Paris. Il n’est pas possible d’indiquer une moyenne pour toute la France : dans plusieurs départemens, les salaires sont inférieurs à ceux de Paris de plus de moitié ; encore, dans cette évaluation approximative des salaires, n’avons-nous pas fait entrer en ligne de compte les chômages périodiques connus sous le nom de mortes saisons.


II.

Quelle peut être dans ces conditions de travail, avec un pareil taux des salaires, la position d’une femme obligée de vivre à Paris du travail de ses mains ? Nous ne parlons pas de celles qui vivent au sein de leur famille : si le mari, laborieux et rangé, apporte fidèle-