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beroni se fût arrêté peut-être devant cette sorte de coalition qui voulait lui imposer la paix, et qui était en même temps un appui pour l’Autriche. Le cardinal, quant à lui, montra un visage imperturbable. Il prit un ton hautain, et fit même faire des menaces à Paris et à Londres, comme si l’Espagne était prête à accepter une guerre tout à la fois avec la France, l’Angleterre et l’empereur. Alberoni ne recula pas devant cette partie où il jouait sa fortune et son crédit, et se réservant peut-être en secret quelque possibilité de négociation, comptant, dans tous les cas, qu’il ne pouvait manquer d’avoir Parme et la Toscane, que la triple alliance assurait à la reine d’Espagne, il marcha toujours en avant. Il redoubla d’intrigues en Europe, d’activité dans ses arméniens, et se tint prêt à une plus brillante conquête avec la fougue d’un homme irrité par un premier succès, enivré de sa propre aventure.

Il y avait cependant en Italie un prince que les projets d’Alberoni, les conséquences qu’ils pouvaient avoir, intéressaient singulièrement, que cette bizarre partie mettait dans une cruelle perplexité, car il était plus exposé à perdre qu’à gagner : c’était Victor-Amédée, résigné à voir un infant d’Espagne aller à Parme, mais ambitieux pour lui de l’insaisissable Milanais, maître de la Sicile, que la triple alliance promettait à l’empereur, et sur laquelle on supposait, non sans raison, qu’Alberoni avait des vues. Victor-Amédée avait de l’humeur contre l’Europe, qui prenait sur elle de disposer de son bien, de lui enlever diplomatiquement la Sicile pour lui donner l’inégale compensation de l’île de Sardaigne, qui était d’ailleurs à reconquérir désormais sur l’Espagne. Il hésitait pourtant à se démasquer et à braver une coalition à laquelle il ne pouvait songer à résister. Il sentait, d’un autre côté, qu’il aurait plus à gagner à se lier avec l’Espagne, si les vues du cardinal n’étaient pas trop démesurées, si ses velléités belliqueuses s’appuyaient sur des forces militaires réelles; mais il ne savait ni ce que voulait le rusé cardinal, ni même s’il était sérieusement résolu à la guerre ou s’il ne se déroberait pas tout à coup par quelque arrangement imprévu avec l’Europe, qui le laisserait seul, pris au piège d’une démonstration compromettante et inutile. Victor-Amédée se défiait d’Alberoni, et Alberoni ne se défiait pas moins de Victor-Amédée, au point qu’il rompait brusquement, à peu près sans motif, avec le ministre piémontais dont la gênante clairvoyance l’impatientait. C’est justement ce ministre fin et pénétrant, l’abbé Doria del Maro, dont la vive et curieuse relation est divulguée aujourd’hui.

Victor-Amédée n’était point pour le moment en position de montrer trop de susceptibilité, et il envoya un autre ambassadeur, le comte Lascaris de Castellar, qui était chargé d’une mission appa-