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les coalisés les respectaient-ils davantage? La justice, je le crains, faisait de tous côtés une petite figure dans cette bagarre de diplomatie et de guerre. Si on demandait, à défaut de droit, quels étaient les intérêts, les convenances, les mobiles des diverses politiques engagées dans l’aventure, je dirais que l’empereur était dans son rôle en voulant avoir la Sicile; le roi George d’Angleterre, plus Allemand qu’Anglais, était porté à favoriser l’empereur, et d’ailleurs l’Angleterre trouvait l’occasion bonne de frapper la marine renaissante de l’Espagne. La France suivait, par goût pour la paix et pour l’alliance anglaise, qui en était la garantie. La France était peut-être celle qui s’inspirait le moins de sa vraie politique. C’est la dernière fois, je crois, qu’elle a paru comme alliée de l’Autriche au-delà des Alpes, réalisant une combinaison qui a longtemps été la plus funeste à l’Italie, sans être dans ses propres intérêts. La preuve que les projets d’Alberoni, si ambitieux qu’ils parussent alors, n’étaient pas si absolument chimériques, c’est qu’ils s’accomplissaient bientôt dans deux guerres nouvelles, et cette fois avec l’aide de la France. Un infant d’Espagne restait à Parme, un autre fils de la reine Elisabeth allait dans l’Italie méridionale. Ce fut là l’origine du règne des Bourbons-Farnèse à Naples et en Sicile. Ce règne, qui ne commença que plus tard, était en germe dans les projets d’Alberoni. J’ajouterai que pour le temps ces projets de l’audacieux cardinal n’étaient point sans portée, car au fond ils tendaient à faire une réalité du rêve éternel des Italiens, en rejetant les Allemands au-delà des Alpes et en groupant les diverses parties de la péninsule sous des dynasties étrangères, il est vrai, mais unies entre elles en même temps que reliées à la France et à l’Espagne par une intime solidarité de race, d’intérêts, d’influence dans le monde. Le plus maltraité dans ces combinaisons assurément était Victor-Amédée, à qui on prit la Sicile pour lui donner la Sardaigne. Il ne pouvait au reste échapper à la mauvaise chance du moment, et il se résigna. Par un jeu imprévu, ce prince retors, et si prompt aux évolutions opportunes, se trouvait en ce moment celui qui représentait le plus exactement le droit entre Alberoni, qui voulait son bien, et l’empereur, qui le garda, au moins pendant quelques années, jusqu’à une guerre nouvelle.

Chose curieuse, un siècle et demi s’est écoulé, et le chemin qu’Alberoni ouvrait en Sicile par une invasion inattendue en pleine paix, Garibaldi l’a suivi sous nos yeux. Ce que le cardinal faisait dans le dernier siècle au profit des Bourbons d’Espagne, au détriment de Victor-Amédée, notre hardi contemporain l’a fait au nom de Victor-Emmanuel contre les Bourbons. Dans la fluctuation des choses, tout arrive, tout se reproduit en se transformant. Il n’est pas inutile de