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l’un d’eux au milieu des applaudissemens, et M. de Bennigsen, le président de la réunion, écrivit lui-même à M. La Farina, qui préside la Société nationale italienne, une lettre où il invite gravement le peuple italien à ne pas se mettre en opposition avec les grands intérêts du peuple allemand et de la politique allemande, et à ne pas provoquer un conflit regrettable entre les deux nations.

On ne peut, on le voit, étudier aucun épisode de l’histoire intérieure de l’Allemagne, qu’il concerne l’action des gouvernemens ou celle des partis, sans se heurter sans cesse aux idées de guerre. Le chaos des opinions et des intérêts est si profond, les courans politiques s’y croisent en tant de sens, les préjugés dynastiques y contrarient sur tant de points les tendances populaires, qu’une foule d’esprits, plus guidés par la passion que par le raisonnement, s’arrachant aux obsessions des systèmes, ont fini par envisager la perspective d’une grande lutte européenne comme un remède héroïque aux divisions et aux maux de l’Allemagne. Ils entonnent les chants célèbres d’Arndt et de Kœrner : le fantôme de l’Allemagne unie et libre ne leur apparaît qu’à travers la fumée des combats; ils désirent la guerre pour la guerre, et se résignent d’avance, avec un fatalisme confiant, à des défaites nombreuses dans l’espoir d’un triomphe suprême et définitif qui deviendrait le signal de la régénération. Ce parti purement germanique ne pardonne pas encore à la France la conquête et l’assimilation de l’Alsace, et ose exprimer ouvertement le regret que la coalition ne nous ait pas en 1815 infligé des châtimens plus sévères. Si le besoin des représailles, si la soif des conquêtes cherchaient des excuses, n’en pourraient-ils trouver dans de semblables sentimens, où l’envie le dispute à la haine? Quarante ans de paix avaient par degrés imposé silence à ces passions allumées pendant les grandes guerres de la révolution et du premier empire; le temps avait couvert de sa calme auréole le souvenir de ces terribles luttes. La grandeur du rôle que la France y avait joué était comprise par nos ennemis mêmes, et les Allemands, race poétique, la comprenaient mieux que personne, bien qu’ils eussent le plus souffert des excès de notre ambition. Il n’est peut-être pas de peuple dans l’imagination duquel Napoléon ait pris plus promptement des proportions épiques : dans combien de chaumières, depuis la Mer du Nord jusqu’à l’Adriatique, ne trouve-t-on pas l’image du conquérant, et quels chants surpassent ceux que la poésie allemande lui a consacrés? L’œuvre d’apaisement opérée pendant le long âge d’or qui séparait deux âges de fer reprendra-t-elle bientôt son cours? Aujourd’hui tous les fruits en paraissent perdus : on va chercher dans l’histoire tous les griefs longtemps oubliés contre la France ; on ressuscite les souvenirs les plus