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d’abord, puis d’autres, et enfin une véritable invasion eut lieu, protégée par l’impunité. L’Arménie, le Pont, la Cappadoce et la Cilicie, privés de défenseurs, furent traversés sans obstacle, et l’on vit les chariots nomades rouler jusque sur les bords de l’Oronte. Ce fut dans toute l’Asie romaine une épouvante inexprimable ; les molles populations syriennes fuyaient comme des troupeaux de daims devant cet ennemi aussi hideux que féroce; celles de Cappadoce et de Cilicie couraient se retrancher dans leurs montagnes; d’un bout à l’autre de l’Orient, un cri de détresse arriva aux oreilles d’Arcadius, qui ne put y répondre ni par des soldats ni par de l’argent. Il écrivait à Stilicon lettres sur lettres, l’implorant, le menaçant, le sommant de lui restituer son bien, et pour toute satisfaction à de si justes demandes, Stilicon accusait Rufin d’appeler lui-même les Barbares et de comploter la ruine de son maître. Le malheureux Arcadius, accablé de nécessités, assiégé de soupçons, tiraillé entre Stilicon et Rufin, ne sachant plus à qui se fier, finit par embrasser la main qui l’opprimait déjà. Vainement Eutrope, dont le jeune prince ne connaissait encore que les talens d’entremetteur d’amour, essaya de le retenir; la double frayeur des Huns et de Stilicon le ramena sous le joug, et le préfet du prétoire redevint plus absolu que jamais.

Il ne l’était pas assez à son gré. Sentant bien qu’il n’arracherait jamais à Stilicon ce que le sort avait mis si à propos en son pouvoir, et comprenant l’impuissance d’un magistrat civil en lutte avec un chef militaire, il voulut avoir aussi une armée à lui et un général digne d’être opposé au régent d’Occident. Ce général et cette armée ne pouvaient être que des Barbares; il tourna donc ses regards vers la Mésie, où campait, presque aux portes de Constantinople, la nation des Visigoths, reçue à titre d’hospitalité par Valens sur les terres romaines, quand elle fuyait en 375 devant l’irruption des Huns. Cette nation ne s’était pas toujours montrée reconnaissante du bienfait qu’elle tenait de l’empire, et, il faut l’avouer, l’hospitalité romaine n’avait été pour elle ni bien humaine ni bien honorable. Poussés à bout par des traitemens odieux, les Goths s’étaient révoltés plusieurs fois ; on les avait vus assiéger Constantinople, et Valens était mort en les combattant. Il avait fallu l’épée victorieuse de Théodose pour faire rentrer dans la soumission ces hôtes peu traitables et son habileté politique pour les pacifier. Domptés par l’ascendant de son caractère, ils étaient devenus ses amis plutôt que ceux de l’empire : aussi leurs meilleures troupes s’étaient-elles disputé la faveur de le suivre dans la guerre qu’il entreprenait contre le tyran Eugène. Cette expédition mit en lumière les mérites et la bravoure d’un chef encore inconnu, mais dont la terrible célébrité devait effacer un jour toutes les gloires barbares : il se nommait Alaric, et par le suffrage des tribus gothiques il venait