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tinople, ils rapportèrent la nouvelle qu’Alaric, cédant à l’autorité de Rufin, avait promis de respecter la métropole de l’empire, et que même il évacuerait immédiatement la province de Thrace. Le fait était vrai, et le mouvement rétrograde des Barbares avait déjà commencé; mais, au lieu de regagner leurs cantonnemens de Mésie, ils s’acheminaient à grandes journées vers la Macédoine. En vertu de ses conventions avec Rufin, Alaric, en qualité de fédéré de l’empire, allait tenir garnison dans l’Illyrie orientale. Son armée ou plutôt son peuple, car il traînait tout après lui, alla donc déboucher en Macédoine, puis en Thessalie, se conduisant comme sur une terre conquise, et la Grèce d’Europe ne présenta bientôt plus, comme celle d’Asie, qu’un spectacle de désolation et de ruines.

Quand ces nouvelles arrivèrent à Milan et à Rome, la cour, le sénat, le peuple entier, furent dans un grand émoi. — Livrer aux Barbares l’Illyrie orientale, disaient les Italiens, c’est nous menacer nous-mêmes, puisque cette province touche nos frontières. Alaric et ses Goths n’auront plus qu’un pas à faire pour se montrer devant Rome. — Ces craintes étaient justes; mais Stilicon, qui connaissait à fond les personnages du drame joué en Orient, devina l’autre côté de l’intrigue. Il comprit que Rufin voulait avoir un homme de guerre à lui opposer, et qu’en envoyant sur les confins de l’Italie un Barbare dont le renom militaire était déjà grand, et qui disposait d’un peuple valeureux, il voulait créer à la politique occidentale des embarras qui l’empêcheraient de se mêler des affaires d’Orient. Habitué à combattre de front les difficultés, le tuteur d’Honorius n’hésita pas un moment. Marcher au-devant d’Alaric, le prendre corps à corps, le chasser de la Grèce et l’emprisonner, comme autrefois Théodose, dans ses cantonnemens de Mésie, puis entrer lui-même à Constantinople, suivi de l’armée romaine victorieuse, et mettre Rufin sous ses pieds, ce fut là son plan. « A Constantinople, se disait-il, il réglerait les affaires à sa guise, dans le meilleur intérêt de l’empire et de l’empereur. » Pour éviter de trop dégarnir l’Italie, il partit précipitamment pour la Gaule, où se trouvait, dans les camps des bords du Rhin, le grand dépôt qui alimentait les guerres civiles, dépôt bien affaibli cependant par suite des dernières luttes.

Quoique l’hiver sévît encore, et que les montagnes fussent couvertes de neige, le régent d’Occident gagna sans appareil, et presque seul, les sources du Rhin à travers les Alpes de Rhétie, et descendit le fleuve jusqu’à son embouchure, inspectant sur la rive gauche les garnisons romaines, et observant sur la rive droite les dispositions des peuples germains. Ces dispositions se trouvèrent toutes pacifiques, et le voyage de Stilicon le long de la rive barbare eut tout l’aspect d’un triomphe. Quant aux légions qui avaient fourni depuis dix ans le noyau des expéditions de Maxime et d’Eu-