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— Oh ! je me le rappelle trop!... m’écriai-je à l’instant même, sans me donner le temps de songer à ce qu’avait de poignant cette exclamation, qui m’échappa comme malgré moi. Aussitôt que j’en eus conscience, une sorte de terreur me saisit. Qu’allait dire Hugh? A quelles questions allais-je avoir à répondre? Mais, non, il baissa la tête. Son visage s’était couvert d’une rougeur subite. Il se tut pendant quelques minutes qui me parurent autant de siècles; puis, avec un accent de contrainte qui montrait à quel point il lui en coûtait de reprendre la parole : — Il serait, dit-il, superflu de feindre ; je vous comprends. D’autres que vous, je le sais, ont pensé de même; mais ceux qui vous ont aidée à interpréter ainsi les souvenirs de votre enfance ont pris une terrible responsabilité.

— Personne ne m’a aidée, repris-je brusquement.

— Vous le croyez,... parce que, gardant l’impression produite sur vous par certaines paroles, vous avez oublié les paroles mêmes. Rien de plus ordinaire et de plus naturel. Au surplus, c’est un grand malheur que ces idées, justes ou non, aient germé en vous. Songez que ni vous ni personne n’avez acquis aucune certitude à ce sujet, quelque défavorables qu’aient pu être les apparences….. A tout prendre, il est impossible de rien changer dans le passé. Vous n’avez donc plus qu’à lutter de votre mieux contre un ressentiment qui en lui-même est un mal.

— Ah! m’écriai-je, si seulement je pouvais oublier!... — Et ce vœu était si sincère, qu’à peine avais-je prononcé ces mots, je sentis des larmes inonder mes joues.

— Pauvre chère enfant! s’écria Hugh avec une compassion profonde, et, debout, il me tenait les mains. — C’est de toute mon âme que je voudrais vous voir sous un autre toit; mais, puisqu’il m’est interdit de vous venir en aide, il faut lutter, il faut venir à bout de ces instincts de vengeance, de ces mauvaises pensées...

— Je tâcherai, je tâcherai. Vos conseils sont les mêmes que ceux de miss Sherer. Ils doivent vous être inspirés par une amitié vraie.

— Vraie, profonde, durable à jamais, reprit-il avec une émotion sincère et communicative.

— Vous voyez, repris-je en retirant ma main, vous voyez d’où vient mon horreur pour le nom que vous portez... Pouvez-vous la comprendre et l’excuser?

— Je la comprends, je me l’explique,... je vous la pardonne de grand cœur. Je comprends aussi la répulsion que vous inspire Owen. De puissantes raisons ont pu seules le brouiller avec mon père. Je sais qu’il a fallu sacrifier de fortes sommes pour empêcher d’éclater une affaire où l’on a cru qu’Owen, poussé à bout par sa détresse pécuniaire, avait dû jouer un rôle plus ou moins compromettant...