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gène, elles étaient réduites presque à rien ; pourtant Stilicon leur enleva ce qu’il leur restait encore de milice jeune et disciplinée. Il retira aussi la légion qui, dans la Bretagne septentrionale, protégeait cette île romaine contre les incursions des Pictes et des Scots. Ce furent là de fatales mesures que les diocèses de Bretagne et de Gaule eurent à déplorer plus tard; mais quand le régent d’Occident redescendit les Alpes, suivi de ces vaillantes troupes, l’Italie, le sénat, l’empereur, furent dans l’ivresse de la joie; les poètes montèrent leurs lyres pour chanter le vainqueur pacifique de la Germanie, le héros qui n’avait pas besoin de combattre pour triompher, et l’on se prépara avec ardeur à cette guerre de Grèce, moitié civile, moitié étrangère.

C’est alors qu’on put juger l’esprit du soldat et mesurer sa confiance en Stilicon. A peine eut-on parlé de guerre, que les deux armées qui occupaient l’Italie et venaient de se livrer des combats si acharnés demandèrent à servir fraternellement sous les drapeaux de ce chef. Les anciennes légions d’Arbogaste et d’Eugène, grossies des recrues amenées de la Gaule, formèrent l’un des corps de l’expédition; l’autre se composa des légions orientales. Les deux corps marchaient séparément, campaient séparément; mais leur vieille haine s’était changée, comme par magie, en une émulation de bravoure. Le poète contemporain que nous aimons à citer, parce qu’il est pour les événemens de cette époque un guide souvent plus sûr que les historiens eux-mêmes, Claudien, nous peint en quelques vers pleins de mouvement l’aspect de cette armée et les sentimens qui l’animaient. « Jamais, dit-il, on ne vit réunis sous un seul commandement tant de troupes diverses, tant de costumes variés, tant de langages différens. Ici viennent les escadrons arméniens aux cheveux crépus, aux robes couleur d’herbe, dont les plis s’attachent sur la poitrine par un simple nœud ; là paraissent les Gaulois aux têtes blondes. Dans leurs bataillons ont pris place les peuples des contrées que traverse le Rhône impétueux, ou que baigne la Saône tranquille, et ceux que le Rhin éprouve à leur naissance, et les autres plus lointains qui boivent les eaux de la Garonne... Tous ces guerriers sont mus par une seule âme; loin d’eux les blessures encore saignantes du cœur : le vaincu a déposé son ressentiment, le vainqueur son orgueil. Encore tremblans de leur courroux passé, l’oreille encore pleine du clairon des guerres civiles, ils conspirent à présent dans une seule pensée, l’amour de celui qui les guide. » Cette grande armée quitta l’Italie au commencement du printemps, quand la fonte des neiges laissa libres les passages des Alpes-Juliennes : d’Aquilée, où elle se dirigea d’abord, elle gagna la côte de Dalmatie, puis les provinces intérieures de la Grèce.

Pendant que Stilicon lui préparait une si vigoureuse attaque, Ala-