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dans la connaissance des hommes et de la nature. Ce que l’Asie-Mineure et la Hellade étaient au peuple d’Athènes, l’Europe, dans sa vaste enceinte, l’était aux Anglais de la renaissance. Chez les anciens, la théologie, cause tout externe et toute primitive, donnait le ressort de l’action et la limite des caractères; chez les modernes, ce ressort et cette limite s’agrandirent et devinrent la fatalité tout humaine et tout interne de l’organisation. Les maisons des Pélopides et des Labdacides étaient le thème d’Eschyle; les races germanique, italique, celtique, furent le thème de Shakspeare. Telle est du moins la conséquence des principes mis en avant, et en faire la vérification est l’objet de ce volume. »

D’après ce système, Iago, dans Othello, représente le caractère de la race italienne, Hamlet, de la race teutonique, et Macbeth, de la race celtique. M. O’Connell ne veut aucunement dire que ourdir des trames scélérates soit le propre de la race italienne, qu’assassiner sous le toit de l’hospitalité un roi débonnaire soit le type de la race celtique, et que la mélancolie d’une âme indécise et troublée soit le type de la race germaine. Non, Iago pourrait être honnête, Macbeth aussi saint que Duncan, et Hamlet aussi royal que le grand Alfred; mais dans l’un ou l’autre cas, dans le bien comme dans le mal, ils n’en seraient pas moins de vrais représentans de leur race, c’est-à-dire obéissant aux impulsions qui les poussent et bornés par les conditions qui la bornent. C’est ainsi que, exemple extrême et qui dira tout de suite ce que M. O’Connell entend, un homme d’une tribu des peaux-rouges pourra être aussi noble qu’Uncas et aussi méchant que le Renard-Subtil sans sortir jamais du cercle fatal que lui impose la qualité de fils des primitives forêts de l’Amérique; ceux-ci ne ressemblent en rien aux hommes blancs que l’habile romancier a mis auprès d’eux. Eh bien! ce que Cooper a marqué sans peine au XIXe siècle et entre des types si tranchés, Shakspeare, au XVIe siècle et à une époque où ce n’était qu’une aperception de génie, l’a marqué pour des types si voisins, qu’un grand poète seul pouvait les dessiner d’une façon distinctive.

Avant d’entrer en plus de détail avec M. O’Connell, j’ai besoin de prendre certaines précautions et de faire certaines réserves. Je vais marcher d’une part en le suivant, de l’autre en m’écartant de lui, et je veux éviter que cette double marche n’ait l’air d’une contradiction. La question, fort importante dans l’histoire de l’art, n’est pas autre que celle de l’origine, si souvent controversée, du drame romantique dans l’Europe moderne. Le point de vue nouveau qu’a ouvert M. O’Connell en la rattachant à la diversité des races nationales m’attire, et je m’en fais le complaisant et satisfait interprète; mais, par une voie dont le lecteur sera juge tout à l’heure, l’expli-