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ric parcourait la Grèce septentrionale, obligé de vivre de réquisitions comme en pays ennemi. Après avoir épuisé la Macédoine, il s’était rabattu sur la Thessalie qu’il ravageait tout à loisir : c’est là que Stilicon l’atteignit. A son approche, le roi goth, ralliant ses bandes, choisit un campement qui pût lui servir de forteresse. C’était une prairie bien fournie d’herbe, où les troupeaux, les femmes, les bagages vinrent se ranger sans confusion. Alaric l’entoure d’un double fossé circulaire, muni d’un double rang de palissades, et à l’intérieur, en guise de rempart, il dispose parallèlement au fossé une file de chariots tapissés de cuirs de bœufs nouvellement tués. Ce revêtement a pour but d’empêcher l’incendie du camp par les torches de l’ennemi, et les chariots, comme autant de tours, doivent recevoir des guerriers armés d’arcs, de frondes et de javelots. Quand les préparatifs sont achevés, Alaric se tient en observation, attendant résolument l’attaque des Romains. Ceux-ci, après avoir reconnu la position barbare, s’approchent et se retranchent presque à portée du trait. Stilicon trace l’assiette de son camp : il place à gauche les Arméniens et les autres troupes d’Orient; les Gaulois occupent la droite. L’infanterie s’échelonne de la plaine aux montagnes voisines, qui étincellent sous l’éclat de l’acier; la cavalerie se développe en ailes sur les flancs, et aussi loin que le regard peut s’étendre, on n’aperçoit que dragons de pourpre flottans, qui, dans leurs ondulations incertaines, semblent menacer tantôt le ciel et tantôt la terre, A peine arrivées, ces braves troupes voudraient déjà vaincre; leurs cris, pareils au tonnerre, demandent le combat; mais Stilicon tempère cet excès d’ardeur; il examine le campement de l’ennemi; il calcule son plan d’attaque, il le médite avec plus de maturité que jamais, car il connaît Alaric, et sait qu’il a affaire à des Goths.

Plusieurs jours furent employés à ces dispositions, et l’armée romaine touchait enfin au moment désiré, celui de la bataille, lorsqu’un messager courant à toute bride parut aux portes du camp, et fit signe qu’il voulait parler au général. Il venait de Constantinople et portait le costume des messagers impériaux : conduit vers Stilicon, il déposa dans ses mains une lettre de l’empereur d’Orient. Cette lettre que le jeune auguste, habile calligraphe et très fier de ce titre, avait sans doute souscrite de sa plus belle signature, enjoignait trois choses au régent d’Occident : la première, de vider au plus tôt le pays, l’Illyrie orientale ne dépendant point d’Honorius; la seconde, de laisser en paix Alaric et ses Goths, amis et fédérés de l’empire d’Orient, lesquels n’avaient rien à démêler avec le régent d’Occident; la troisième enfin, de ne plus retenir, sous de vains prétextes, un trésor et des légions qui ne lui appartenaient pas, mais d’en faire opérer sans plus de délai la remise à Constantinople par tout autre que lui. L’ordre était conçu