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véritables entre nous et les populations demeurées pleinement celtiques. À ce titre, l’Irlande, aujourd’hui le seul grand centre celtique qui subsiste, nous intéressera toujours. Je n’ai pas à m’enquérir ici pourquoi elle a été si malheureuse sous le régime anglais ; ce ne fut pas précisément l’oppression tyrannique, car les protestans français ont été, sous Louis XIV et après lui, bien plus opprimés sans être jamais tombés à un tel point de misère. Ce ne fut pas non plus la différence de religion, car les catholiques français du Canada ont merveilleusement prospéré sous la domination britannique, ce qui, en passant, prouve que les Français n’étaient point impropres à la colonisation, et que leur infériorité d’alors ne tint qu’à l’infériorité de leur gouvernement, qui, non contrôlé, devait certainement être vaincu par un gouvernement contrôlé. Quoi qu’il en soit de cette situation irlandaise, comment se fait-il que les Irlandais n’aient pas mis en usage le procédé qui de nos jours a réussi à plusieurs nationalités opprimées ou menacées ? Je parle de la résurrection d’une littérature nationale autour de la langue nationale remise en honneur. C’est ainsi que les Hongrois, les Roumains, les Bohémiens et même les Flamands de la Belgique se sont défendus tantôt contre l’oppression, tantôt contre l’absorption. Pourquoi les Celtes d’Irlande ne font-ils pas de même ? Pourquoi les patriotes, les jeunes gens, se groupant autour du vieil et vénéré idiome, n’en font-ils pas le ralliement commun de leurs aspirations nationales et politiques ? Je n’ai aucun droit pour répondre à cette question, et c’est en définitive aux Irlandais eux-mêmes qu’il appartient de décider quelle est la voie la meilleure pour sortir d’une position qui les blesse, soit la fusion plus intime avec l’Angleterre, soit la séparation plus profonde à l’aide de la résurrection de l’idiome celtique.

De cette revue faite à la suite de M. O’Connell, j’arrive à la même conclusion que lui, à savoir qu’il y a dans Shakspeare plus que le portrait général de l’homme et de ses passions, et que des nuances très variées, qui proviennent de la diversité des races et des lieux, y tiennent une place importante. « Je ne prétends pas soutenir, dit M. O’Connell, que Shakspeare ait eu plus que ses critiques conscience de toute la portée de ses conceptions. Le vrai poète est philosophe par sentiment, non par système, et tous les grands agens du progrès de l’humanité ne connaissent guère leurs tendances réelles. Le fondateur du drame moderne fut mis, par les récits légendaires et poétiques du moyen âge, en possession d’une esquisse des principales variétés de race en Europe, esquisse qui devint entre ses mains le germe et le type de ses créations nouvelles. » Ce fut en effet ainsi que Shakspeare procéda. Les poètes, pas plus que les peintres et les musiciens, ne créent au sens absolu de ce mot ; ils mettent en œuvre, développent, embellissent, transforment, idéa-