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insuffisance qui serait que, dans leur code, il n’y avait aucune querelle entre la loi et l’équité, querelle si fréquente en Angleterre, où l’équité a souvent moyen de triompher de la loi. Mais cela est-il bien vrai? Qu’était donc le droit prétorien, sinon un moyen d’échapper aux rigueurs d’un droit archaïque et sacré, quand la loi traditionnelle était d’un côté et l’équité de l’autre? Les Romains n’avaient pas moins vu que les Anglais les dangers d’un droit immobile et l’avaient corrigé de la même façon.

Après la morale et le droit reste le dernier texte que je veuille discuter, et qui est relatif à la religion. Il s’agit d’un passage de la Pharsale de Lucain, qui dit en parlant des druides :

Solis nosse deos et cœli numina vobis
Aut solis nescire datum ; nemora alta remotis
Incolitis lucis. Vobis auctoribus umbræ
Non tacitas Erebi sedes Ditisque profundi
Pallida regna petunt; regit idem spiritus artus
Orbe alio; longæ, canitis si cognita, vitæ
Mors media est.


Sur quoi M. O’Connell remarque : « La religion des Romains était un pur rituel, sans un semblant d’âme ou de doctrine; la hiérarchie druidique et le dogme gaulois de l’immortalité de l’âme étaient, pour ces envahisseurs civilisés, une inconcevable excentricité. » Je ne pense pas que M. O’Connell ait entendu que les Romains ne connaissaient point la durée de l’âme après la mort; cela serait trop contraire aux témoignages historiques et à la place de la religion romaine dans le polythéisme ancien ; il entend sans doute seulement que le dogme gaulois sur l’âme leur paraissait incompréhensible. En effet, le passage de Lucain n’exprime qu’une différence d’opinion religieuse entre Rome et les druides, et, bien loin qu’il n’y eût pas de doctrine chez ses compatriotes, il oppose doctrine à doctrine. « Ou vous ou nous ne connaissons pas les dieux ; nous, nous les adorons dans des temples ; vous, vous les adorez dans des bois reculés. Ou vous ou nous ne connaissons pas la destinée de l’âme; nous, nous pensons que les ombres vont dans les demeures muettes de l’Erèbe et dans les pâles royaumes de Pluton ; vous, vous pensez que l’esprit va animer un corps dans un autre monde, et que la mort est un point intermédiaire dans une vie qui dure longtemps. » D’après ce passage, on penserait que les druides admettaient pour l’âme non une vie éternelle, mais une vie longue (vitæ longœ), assertion peut-être vraie, dont pourtant je laisse la responsabilité à Lucain. L’opinion des druides a d’ailleurs de l’analogie avec celle d’autres Aryens, ceux du Gange, qui croyaient et croient encore à la métempsycose.

Les dires qui contredisent les dires surgissent à chaque instant et