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ment trop récente pour avoir quelque valeur dans des caractéristiques de ce genre. Ce qui prend maintenant le premier rôle et la première valeur, c’est la comparaison des œuvres littéraires, des œuvres scientifiques, des œuvres d’art (peinture, sculpture, architecture, musique), de la législation, du gouvernement et de la politique. Avec ces élémens, qui n’ont rien d’arbitraire et qui peuvent toujours et par chacun être soumis à l’étude, on composera des portraits qui auront pour garanties les plus persistantes et les plus authentiques réalités de la vie des nations.

Plus on s’avance dans les particularités, plus les élémens se multiplient, se compliquent et deviennent délicats à saisir, difficiles à manier. Dans la race aryenne, la sous-race germanique, à première vue, offre quatre peuples très distincts, les Allemands proprement dits, les Scandinaves (Danois, Suédois, Norvégiens), les Hollandais et les Anglais. Que de variétés dans cette seule sous-race et que de preuves de l’influence de ce que j’ai nommé les circonstances! Les Anglais surtout se distinguent profondément des Germains non-seulement à cause de l’élément celtique, qui est si considérable parmi eux (je crois que l’anglais contient plus de radicaux celtiques que le français), mais encore et principalement par la conquête normande, qui modifia leur langue, leur esprit, leur législation, et leur fit sentir, de seconde main il est vrai et à travers la France, l’influence latine. Parmi ces traits visibles au premier coup d’œil, on peut citer la nullité des Anglais dans la musique, leur infériorité dans la peinture, tandis que les Allemands sont avec les Italiens les rois de la musique et occupent dans la peinture un rang élevé.

Ce que je viens de dire des Anglais par rapport à la Germanie, qui est leur origine, je le répète à propos des Français par rapport aux Celtes, où ils ont leur souche. Sans parler des colonies latines et des invasions germaniques qui ont mélangé notre sang, sans parler de l’élément ibérien, qui paraît avoir été important au-delà de la Garonne, il faut mettre bien au-dessus de toutes ces mixtions la conquête romaine, qui d’un peuple barbare fit un peuple civilisé et lui donna, au lieu de l’idiome celtique encore inculte, une langue cultivée et pleine de toutes les idées de la littérature, de la philosophie et de la science antiques. L’avance n’est pas petite d’avoir de la sorte une langue qui tout d’abord soutient, agrandit, élève notre pensée. C’est à cet ensemble de circonstances que la France dut sa supériorité dans le haut moyen âge, c’est à un autre ensemble de circonstances qu’elle doit d’être depuis le XVIIIe siècle la directrice de la grande révolution qui s’accomplit, et en cela je suis d’accord avec M. O’Connell quand il constate et célèbre cette direction. Les événemens actuels suffiraient seuls, s’il fallait des preuves, pour montrer qu’il en est ainsi : quand, détournée de la vie politique