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frances d’une génération ni des luttes héroïques d’une grande âme, pourvu qu’elle soit satisfaite des résultats. Dans ses travaux sur la Gaule et son histoire d’Attila comme dans ses Récits de l’histoire romaine au cinquième siècle, toutes ses sympathies sont pour les défenseurs de l’empire contre les Barbares, parce que l’empire, malgré ses hontes, est le dernier refuge des lettres, des arts, des sciences, et la demeure provisoire de la religion du Christ. Je sais bien que les grands défenseurs chrétiens de la société romaine, moines, évêques, pontifes, intrépides apôtres, ont trouvé de nos jours les plus éloquens apologistes : M. Villemain, M. Guizot, M. Mignet dans des pages qu’on ne saurait oublier, M. Ampère dans son Histoire littéraire de la France avant le douzième siècle, ont noblement payé la dette de l’humanité moderne à ces sauveurs de la civilisation; mais a-t-on rendu la même justice aux hommes qui ne sortaient pas des rangs de l’église? Il semble que l’éclat religieux d’un saint Léon, d’un saint Grégoire, ait rejeté dans l’ombre les figures que n’environnait pas la mystique auréole. Dans les annales du Ve siècle surtout, on ne veut pas voir les nobles personnages qui ont servi selon leur pouvoir la cause de la dignité humaine. On connaît le pape saint Léon ; qui connaît Majorien et Anthémius? Une des inspirations originales de M. Amédée Thierry, c’est son ardeur à retrouver les titres de tous les héros de cette histoire. Il les cherche dans la société civile aussi bien que dans l’église. Que ce soit un évêque ou un général, un saint ou un politique, un moine ou un empereur, chacun de ceux qui ont concouru à dompter, à civiliser la Germanie, c’est-à-dire à sauver quelque chose de la tradition des grands siècles, est assuré de trouver dans le cœur de l’historien une sorte de reconnaissance filiale. Voilà l’âme de ce beau livre.

Quels sont donc en regard des trois grands aventuriers germains du Ve siècle les représentans de la société romaine? Il y en a plus de trois; citons les principaux : au patrice Ricimer, M. Thierry oppose l’empereur Anthémius; à côté d’Odoacre, roi des nations, il met en scène l’un des plus grands et des plus mystérieux personnages de l’histoire, le chef d’une simple communauté de religieux, saint Séverin, à la fois apôtre, soldat, médecin, tour à tour solitaire plongé dans les extases de la contemplation ou pasteur de peuples engagé dans les plus rudes travaux de la vie active, missionnaire suscité d’en haut, à ce qu’il semble, pour remettre la civilisation antique à la société barbare, et dont le cortège funèbre parcourut l’Italie au milieu des bénédictions de l’univers. Auprès de Théodoric;... mais l’ouvrage de M. Thierry s’arrête au moment où Théodoric devient roi d’Italie, et c’est la pensée du lecteur qui, achevant ce triple parallèle, fait paraître à côté du roi des Ostro-