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Oreste. Romain devenu Barbare, Barbare redevenu Romain, il avait été le secrétaire d’Attila avant d’obtenir le commandement des armées impériales. M. Amédée Thierry, en ses vivantes pages, explique parfaitement la destinée de ce personnage étrange, « dont le cœur valut mieux que la fortune. » On le voit passant d’une cause à l’autre sans que sa loyauté en souffre, on le voit servant tour à tour avec une égale fidélité les Barbares et l’empire. Ces incroyables changemens de rôle n’étaient point des perfidies; ils révèlent la décomposition d’un monde plutôt que l’infamie d’un homme, et prouvent que chez les moins misérables des Romains l’idée de patrie ne pouvait plus exister. C’étaient des soldats barbares qui avaient détrôné Julius Népos au profit d’Oreste, c’étaient ces mêmes Barbares qui s’étaient emparés du fils de leur général, le petit Augustule, et, l’affublant d’un manteau de pourpre, l’avaient proclamé empereur d’Occident. Le jour où l’aventurier généralissime de l’empereur son fils, sentant se ranimer en lui une étincelle de patriotisme, refusa de partager l’Italie à ses mercenaires, l’armée se révolta; Oreste fut mis à mort et son fils déposé. Le chef de la révolte était un soldat hardi, éloquent, exalté, un ancien lieutenant d’Oreste, qui devait considérer le patrice comme un traître, car il était Barbare de cœur et d’âme, et c’était à titre de Barbare qu’Oreste avait été son chef. Odoacre, c’est le lieutenant dont je parle, dédaigna la pourpre des césars; il s’appela roi des nations, puis bientôt roi d’Italie... L’empire n’existait plus.

C’est ainsi que finit l’empire romain. Il ne tomba pas, il disparut. Il ne faut pas dire avec Bossuet : « La nouvelle Babylone... tombe d’une grande chute. » Il ne faut pas parler de « fracas effroyable. » L’empire n’était plus qu’une ombre, cette ombre s’évanouit. Ce qu’on appelait l’empire avant l’année 476 aurait pu durer jusqu’en 493, si Odoacre avait bien voulu donner le trône à quelque Glycérius, à quelque Romulus Augustule, sous le nom duquel il eût gouverné le monde. Ce fantôme d’empire aurait duré plus longtemps encore, si Théodoric eût continué à son tour cette même politique et renouvelé le rôle de Ricimer. Il n’y avait pas de raison, en un mot, pour que l’empire cessât d’exister en 476, et non cinquante années plus tôt ou cinquante années plus tard. Il était mort depuis longtemps; la date de la disparition, ou, si l’on veut, la déclaration du décès a été déterminée par des circonstances toutes fortuites.

Aussi, quand cette disparition eut lieu, personne ne s’en aperçut; Rome n’eut pas de funérailles. Après le pillage de Rome par les bandes d’Alaric, saint Augustin, du sein de l’Afrique, éprouve le besoin de consoler ses frères, et il leur montre l’éternelle cité de Dieu au-dessus de la cité terrestre mise à feu et à sang; saint Jérôme, au