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la route, avec un parapet de pierre, que dis-je? de marbre. Les femmes sont bien vêtues, leurs enfans robustes et joufflus. A l’entrée, à la sortie du hameau, une madone peinte par une bonne main. L’église n’est pas si simple qu’elle n’ait quelque colonne, quelque bas-relief, une ou deux fresques, quelquefois des chefs-d’œuvre de sculpture en bois. Les hommes sont beaux et vigoureux, sanguins de tempérament, durs à la fatigue. Ce sont de bons soldats, de bons laboureurs, de bons terrassiers. Pas de manufactures à l’horizon. La Lombardie ne connaît guère que l’industrie de la soie, une industrie propre, et dans quelques parties celle des fers, une industrie noble. Dans tout le pays, la richesse sort directement du sol, où les générations passées ont enfoui leurs capitaux.


II. LA VIE CIVILE.

Cette terre lombarde est si bien fertilisée par ses canaux, qu’elle n’a pas besoin d’être arrosée par la sueur de ses habitans. Aussi dans tous les rangs de la société vous trouvez une vie facile, exempte de dur labeur, sans lutte et sans effort.

Voici le fils de famille, le jeune oisif. Il est grand, robuste. Il a passé six mois à Paris et quinze jours à Londres; mais il a encore les poumons pleins de l’air salubre des champs. Il a appris peu de chose de son précepteur, c’est vrai; mais il a l’esprit juste, ouvert, gai. Il n’a guère d’initiative, mais il accepte franchement les idées courantes. Il n’a pas conspiré contre l’Autriche en 1859, mais il a émigré à Turin, et il est entré dans l’armée sarde, sans demander à être colonel. Au bout de six mois, on l’a fait sous-lieutenant. Il se lève tard, déjeune d’une orangeade et d’une brioche, passe un quart de sa journée à causer debout, devant un cale. Après dîner, il consacre deux heures à une dame à qui il fait sa cour. Vient ensuite le théâtre, puis une conversation, enfin le café, où il joue une partie de la nuit avec convenance, sans entraînement. A toute heure, il est affable, exempt de préjugés. Il donne la main à tout le monde. Il n’a pas d’ennemis; il a beaucoup d’amis. — Voici l’artiste. Celui-ci a servi sous Garibaldi en 1848; il était au siège de Rome et a reçu des coups de baïonnette dont il ne garde pas rancune aux Français. Plus tard il est allé en Crimée comme volontaire de l’armée sarde; il a fait le siège de Sébastopol, puis il l’a dessiné. En 1859, il est entré dans les chasseurs des Alpes, et il a été blessé à Varèse. Ainsi avec l’argent de quelques tableaux il a trouvé moyen de faire douze ans la guerre à ses frais. Il n’a pas de besoins, aucune ambition. Il a bon estomac et bonne humeur; mais son esprit incline au sérieux.