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reur pour un de ses camarades, et lui fait un signe amical; le jeune homme provoque aussitôt l’officier en duel.

Il faut noter comme un fait remarquable que, dans cette poursuite ardente de la liberté, les femmes lombardes ont joué un rôle brillant. Les Autrichiens, que nous pouvons croire en pareille matière, leur ont donné un nom dont elles sont fières. Ils les ont appelées les oies du Capitole. C’est qu’elles faisaient bonne garde autour du sentiment de l’indépendance nationale. Dans toutes les classes de la société, par des moyens différens, suivant leur position et leur caractère, les femmes se signalaient.

Celle-ci est délicate et gracieuse, si frêle qu’elle ne sort pas de sa maison; autour d’elle se groupent quelques vieux patriciens qui préfèrent son thé aux futilités du monde, et une légion de jeunes gens dont elle dispose un peu comme une mère, un peu comme un général. Sur tous, elle exerce par le charme de ses manières un ascendant irrésistible. Elle s’occupe du plus obscur comme du plus brillant, et trouve pour chacun le trait qui le touche. Elle aime tous ses amis; elle pense avec eux. L’amour de la patrie italienne est sa vie entière; elle s’use par les émotions; suivant le cours des événemens, elle brille d’un éclat fiévreux ou s’affaisse. Sa voix douce et sympathique vibre quand elle parle de l’Italie; elle a une éloquence qui va au cœur. Elle aime à voir les étrangers qui visitent la Lombardie; ils viennent chez elle, et tout de suite ils sont sous son empire; elle les fascine par son patriotisme plein de grâce. Rien de pédantesque dans son enthousiasme; les déclamations sont exclues de chez elle comme les commérages. Elle connaît la juste mesure des choses; elle sait être entraînante ou railleuse, elle rit aussi bien qu’elle raisonne. Son salon était bien connu de la police autrichienne; les mots d’ordre y arrivaient tout droit de Turin. Maintenant que sa cause a triomphé et que ses amis sont au pouvoir, elle continue à ne songer qu’à Venise ou à Rome. Qu’on ne lui parle pas du ministère et des affaires intérieures! elle ne veut pas s’en occuper. Qu’on fasse l’Italie une sous un gouvernement quelconque, et elle mourra contente. — Cette autre, vive, enjouée, avide de plaisirs, a un invincible besoin de mouvement; elle a conspiré sous les Autrichiens; elle se plaisait aux missions les plus fatigantes. Partir en voyage inopinément, la nuit, pour porter un ordre, pour recevoir un avis, c’était pour elle un jeu. Elle se multipliait; on la voyait aux théâtres, aux bals, au Corso, toujours gaie, pleine d’inspirations heureuses, se servant de l’événement du jour, quel qu’il fût, comme d’une arme contre l’ennemi de la patrie. Après la guerre, elle a joui de la victoire; elle a fait aux vainqueurs les honneurs de Milan. Elle a dansé furieusement avec des hussards et des chevau-légers.