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d’un pays que toute la science administrative. L’unité politique augmente-t-elle la dignité des citoyens d’un pays? L’histoire a prononcé qu’il y avait plus de dignité dans l’Athénien, qui était membre d’une petite république, que dans le Perse, qui était un des innombrables sujets du grand roi. La dignité des nations se pèse et ne se compte pas. La Hollande au XVIe siècle, créant à la fois sa patrie et son sol, avait plus de dignité que l’Espagne avec son immense empire et ses innombrables sujets. Je ne veux point parler de la liberté politique. La liberté politique, étant le droit et le moyen de témoigner de la diversité instinctive de nos sentimens et de nos opinions, exclut pour ainsi dire l’unité, de même aussi que l’unité exclut la liberté politique. Ce qui trompe sur ce point beaucoup de personnes, c’est l’exemple de la révolution française. On croit que la révolution de 89 a fait l’unité de la France : cette unité était faite par l’administration de nos rois; la révolution l’a seulement proclamée. Cette unité s’est maintenue et s’est même trouvée compatible avec la liberté politique pendant trente ans, de 1814 à 1848, parce qu’en France, grâce à Dieu, il y a entre nous plus de points de conciliation que de points d’opposition. C’est à cause de cette heureuse disposition de nos esprits que l’unité politique de la France n’a pas, pendant trente ans au moins, exclu la liberté politique, ou que la liberté n’a pas exclu l’unité. Encore je sais beaucoup de personnes qui croient que si la France n’a eu que des momens de liberté politique, au lieu d’en faire sa vie et son histoire quotidienne, cela tient à la prépondérance de l’unité en France, non pas de l’unité politique et nationale, mais de l’unité administrative et de la centralisation. La centralisation est l’excès et le danger de l’unité politique. S’il y avait en France encore plus de bon sens qu’il n’y en a et un peu moins de logique, nous aurions compris qu’ayant beaucoup d’unité politique, il fallait peu de centralisation. La logique l’a emporté, et comme nous avions le bonheur d’avoir une patrie essentiellement une et commune, nous avons voulu aussi le bonheur d’avoir une administration centralisée. Il fallait se contenter de la gloire d’être une patrie et ne pas prétendre à l’honneur d’être un bureau.

Si je voulais, pour réfuter M. de Juvigny, opposer théorie à théorie, je dirais volontiers que l’histoire montre partout la fatale erreur des peuples et des pays qui ont préféré l’unité politique à l’unité morale. L’unité morale comporte tous les rapprochemens qui font de l’humanité une véritable société. L’unité politique n’a de plus que le despotisme. Ç’a été une belle chose, je le veux bien, que l’unité morale du monde ancien, quand, selon la parole de Bossuet, « tout l’univers vivait en paix sous la puissance d’Auguste et que Jésus-Christ venait au monde; » mais le despotisme, c’est-à-dire