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ces révélations de la bouche de son ministre; il l’écouta tranquillement sans rien objecter, soit qu’il se fiât aux assurances d’Eutrope, soit que, voyant l’impossibilité de prévenir l’événement, il eût résolu de l’attendre pour prendre lui-même un parti et se ranger, suivant les cas, du côté d’Eutrope ou de Rufin. Satisfait de ce consentement tacite et croyant tenir invinciblement le faible auguste sous sa chaîne, Rufin pourvut aux dernières mesures, fit battre à son effigie les pièces d’or et d’argent qu’il voulait distribuer pour sa bienvenue, et commanda un souper tout à fait impérial sous les galeries de son palais. Enfin parut le jour tant souhaité où l’empereur devait recevoir l’armée dans l’Hebdomon : c’était le 27 novembre.

L’Hebdomon, dont nous avons déjà parlé, était le champ de mars de la Rome nouvelle, le lieu où l’on exerçait les soldats de recrue appelés tyrons, où se passaient les revues militaires, où se célébraient les solennités tumultueuses qui réclamaient un grand concours de monde ; là aussi se faisait la proclamation des césars devant le peuple et l’armée. Située hors des murs de la ville, vers le midi et à la septième borne milliaire, à partir du mille doré qui servait de point de départ à toutes les routes de l’Orient, la plaine de l’Hebdomon tirait de cette dernière circonstance son nom qui signifiait en grec septième. La mer l’avoisinait d’un côté, de l’autre les collines de la ville, et elle se reliait vers l’occident au continent de la Thrace. Des maisons d’habitation, quelques édifices publics en avaient fait un faubourg de Constantinople, et les empereurs y possédaient un petit palais, leur pied-à-terre dans les longs jours de solennités. La partie de l’Hebdomon réservée aux revues contenait vers son milieu une tribune de marbre environnée de statues, d’aigles et de drapeaux, du haut de laquelle les empereurs haranguaient la foule et proclamaient les collègues qu’ils associaient à leur puissance. Dans ces circonstances, l’adopté, appelé par l’adoptant, montait respectueusement les gradins pour venir prendre place près de lui. Celui-ci le présentait à l’assemblée, et, enveloppant ses épaules d’un manteau de pourpre, ceignant son front d’un bandeau de perles, il le nommait à haute voix césar ou auguste. Les deux collègues descendaient ensuite, et, assis l’un près de l’autre dans le même char, ils rentraient lentement au palais par la porte d’Or à travers la Rue Triomphale. Tel était le spectacle que Rufin espérait donner en sa personne aux habitans de Constantinople dans cette journée du 27 novembre, et pour lequel il se prépara avec une recherche presque féminine.

Ainsi que nous l’avons dit, Rufin était grand, beau de visage et d’une tenue martiale, et il calculait habilement l’effet de ces avantages sur la multitude. A côté d’Arcadius, dont l’apparence était si