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acclamé roi par la nation qu’il avait fait revivre. Ardemment soutenu par un peuple de paysans et de soldats, mais en lutte presque permanente contre le clergé, que les traditions romaines rattachaient à l’idée impériale, et qui persistait à placer à Tours le centre canonique de son obédience, ce prince continua en roi politique le règne qu’il avait commencé en soldat heureux, et peut-être serait-il parvenu, malgré l’immense inégalité des forces, à fonder une monarchie bretonne dans l’ouest des Gaules, si la mort ne l’avait prématurément frappé au moment où il s’avançait à la tête d’une armée victorieuse au cœur même des possessions de Charles le Chauve[1].

L’œuvre croula avec le grand homme qui l’avait élevée. Si les petits-fils de Noménoé, aussi profondément divisés que les successeurs de Charlemagne, continuèrent encore, durant quelques générations, à porter le titre et les insignes de la royauté, l’état de crise dans lequel s’écoula leur vie les conduisit bientôt à modifier gravement la situation de la Bretagne vis-à-vis de la couronne. Soit que ces princes désirassent obtenir des rois de France quelques territoires dépendant du Maine et de la Neustrie, soit que les invasions normandes, si funestes à la ville de Nantes, trois fois détruite, les obligeassent à ne pas marchander le prix d’un concours qui fut d’ailleurs presque toujours infructueux, il est hors de doute que, vers la fin du IXe siècle, la suzeraineté des Carlovingiens fut reconnue par les souverains bretons, qui ne tardèrent pas à substituer le cercle ducal à la couronne fermée des rois. Au siècle suivant, cette révolution était consommée. La Bretagne se trouva donc rattachée au grand système des fiefs malgré l’antériorité de son existence politique et son indépendance séculaire. Des traités qui ne se retrouvent point, il est vrai, mais dont l’existence n’est pas contestable, donnèrent aux rois de France sur cette province des droits réels, quoique fort mal définis. Ces droits eurent-ils le caractère d’un simple tribut, ou constituèrent-ils dès lors une vassalité régulière ? L’hommage portait-il sur la totalité du territoire, comme l’ont prétendu les écrivains français, ou ne s’appliquait-il qu’aux terres plus récemment concédées aux ducs, comme l’ont maintenu les historiens bretons ? Impliquait-il un hommage ou un engagement personnel ? Était-il simple, était-il lige ? Tel est le sujet d’une longue controverse dans laquelle les lettres de cachet ont joué un rôle durant le siècle dernier, et qu’une science plus libre a résolu de nos jours dans le sens le plus favorable aux prétentions bretonnes[2].

  1. Noménoé mourut à Vendôme en 851, de maladie accidentelle selon toute vraisemblance, et miraculeusement frappe par la justice divine, si l’on s’en rapporte à la chronique du moine Adhémar. — Recueil des historiens de France, t. VII, p, 226.
  2. Daru, Histoire de Bretagne, t. Ier, p. 258 et 430 ; — de Roujoux, Histoire des Rois et des Ducs de Bretagne, t. Ier, liv. IV.