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lettres patentes[1]. Jean III ne se sentit pas assez fort pour échapper au joug porté par ses deux prédécesseurs, encore qu’au début de chaque campagne il prît grand soin de faire constater par acte authentique qu’il suivait le roi de France à la guerre a à titre d’allié et point à titre de vassal[2]. »

L’attitude contrainte de ces princes, pressés entre deux grands états, laisse deviner qu’une crise se prépare dans les destinées de la Bretagne. A mesure que la royauté française accomplit son destin et qu’elle s’assimile les diverses parties du territoire, le duché, roche isolée dont la mer montante bat déjà les flancs d’écume, ne se maintient plus par ses propres forces malgré l’indomptable vitalité du génie national; l’Angleterre seule peut le protéger encore contre la France, et le peuple breton en est à choisir entre deux dominations qui lui sont également odieuses. Il n’y a d’ailleurs dans la politique des princes français appelés au trône ducal de Bretagne que de très rares révélations de l’esprit breton. Braves sur le champ de bataille, mais légers et médiocres pour la plupart, ils semblent presque toujours écrasés par les difficultés sans cesse croissantes de leur situation; ils manquent enfin, pour y échapper, des ressources que présentent aux ducs de Bourgogne de la maison de Valois, chefs héréditaires d’une grande faction, l’audace de leurs desseins et le bonheur constant de leur fortune. Condamnés par la force des choses à une politique de bascule dont ils placent alternativement le levier à Paris et à Londres, entraînant leurs sujets dans de sanglantes querelles qui ne touchent point à l’avenir de la patrie bretonne, ces princes semblent presque toujours à la remorque des événemens, et leur histoire en devient monotone au point de provoquer la lassitude, tant la Bretagne disparaît au milieu des luttes dont elle est l’occasion, la victime et le théâtre.

Tel est surtout le caractère du grand débat qui remplit l’histoire pendant la majeure partie du XIVe siècle, débat provoqué, comme personne ne l’ignore, par la rivalité de la maison de Penthièvre et de la maison de Montfort pour la succession de Bretagne à la mort du duc Jean III, décédé ^ans héritier direct. Cette querelle succes-

  1. Ajoutons cependant avec d’Argentré «qu’il ne se trouve aucun endroit où les ducs de Bretaigne se soient intitulés pairs de France... Le duc, à vrai dire, ne considéroit pas la fin des honneurs qu’un lui offroit, les prenant en bonne part, encore qu’eux-mêmes aperçussent assez que telles offres tendoient à autres effets, à ce que par ce moyen l’hommage et souveraineté fussent à l’advenir plus asseurés et hors de toute controverse et altercation à cause de l’adjonction et confusion de la pairie avec le duché, car par tel moyen l’hommage se devoit faire de l’un et de l’autre soubs même forme et conception unique, qui n’étoit pas peu de prévoyance pour l’avancement des affaires du roy. » Histoire de Bretaigne, liv. IV, ch. 31.
  2. Daru, Histoire de Bretagne, t. IV, p. 70.